L'article 222-23 du Code pénal français dispose que :
" Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur, par violence, menace, contrainte ou surprise, est un viol. " Le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle.
Nulle part le mot consentement n'est mentionné. Alors pourquoi les magistrats et les avocats veulent-ils savoir à toute force si la plaignante victime d'un viol n'aurait pas été un peu consentante, ou si elle a bien spécifié clairement son non-consentement aux actes commis sur elle ? Les agresseurs posent-ils seulement la question, alors que c'est généralement leur argument de défense ? C'est devenu d'actualité et surtout de circonstance, avec le procès de Mazan où une femme endormie chimiquement est livrée à des consommateurs de sexe violeurs. Pourquoi des députés ou des féministes veulent-elles faire entrer le consentement dans cette définition ? Les mots 'violence", 'menace', 'contrainte', 'surprise' ont-ils besoin de précision supplémentaire ? N'annulent-ils pas à eux seuls la notion de consentement ?
Nous sommes -pour notre malheur, dans une époque néo-libérale où le contrat est devenu un objet, une disposition régissant nos vies. Je me souviens d'avoir lu au début des années 2000, cette expression "le contrat ou le juge". C'était à propos des nouvelles attentes des salariés qui préféraient un contrat d'intérim, un CDD ou un travail en free-lance, vendant leurs meilleures compétences à un commanditaire pour une durée définie à l'avance. Pendant 18 mois, vous ferez, tirets à la ligne, les tâches suivantes avec tel résultat attendu, le tout spécifié par contrat. Si le contrat n'est pas rempli de façon satisfaisante pour les deux parties, ça se règle devant un juge, au tribunal. Le contrat entre pairs. Je ne sais si un ingénieur informaticien qui vend un service de développement logiciel à une entreprise, ou un créatif qui loue ses compétences artistiques à une agence de publicité sont exactement à parité avec leur commanditaire, si le patron ne serait pas un peu en position de force, même relativisée par la rareté sur le 'marché', mais c'est l'idée. Tout serait devenu contractuel. Y compris les relations sexuelles entre femmes (dominées) et hommes (dominants). Or dans ce dernier cas, on est loin de la parité (substantif qualifiant l'état des pairs).
Mais qu'est ce que consentir quand on est femme, considérée par les hommes 'faite pour le sexe' selon Catharine MacKinnon, une femme avec 'une conscience aliénée' comme écrivait Nicole-Claude Mathieu ?
La liberté précède-t-elle l'égalité, ou est-ce l'inverse ? Accepter est-ce la même chose que vouloir ? Le consentement n'est-il pas l'acquiescement au pouvoir ? Comme si c'était possible d'être libre sans être égaux, surtout quand on est femme, et qu'on est en plus supposée être faite pour le sexe.
Dans un contexte où les agressions sexuelles et le viols sont sous-déclarés, les dossiers classés, où les cas déclarés sont blanchis avec peu de chance de voir l'agresseur aller en prison, l'agression sexuelle est le crime violent le moins signalé, constate Catharine McKinnon dans son ouvrage.
Juriste internationale, avocate, professeure de droit à Harvard, militante féministe, McKinnon pose donc la question de la pertinence de la notion du consentement des femmes à l'acte sexuel en cas d'agression, question récurrente de la police et des magistrats : a-t-elle suffisamment dit non, et s'est-elle défendue contre son agresseur ?
Après avoir constaté les fonds historique, philosophique et culturel qui sous-tendent le consentement, en convoquant même les penseurs des Lumières, et l'évolution du droit sur le viol (vol, viol ; rapt, rape), comparé le système juridique français (en reconnaissant que le consentement n'est pas présent en droit français dans son article 222-23 du Code pénal, mais que les tribunaux en font état et posent la question aux victimes de viol), et les systèmes juridiques états-unien et canadien, Catharine McKinnon en conclut que le consentement n'est pas une notion pertinente pour juger les cas d'agressions sexuelles. Elle est convaincante car elle argumente avec brio. Quand on est prises dans des hiérarchies sociales, consentir, c'est acquiescer au pouvoir, précise-t-elle.
Dans un contexte social où les inégalités de genres et sous-genres intersectionnels (ethnie, réfugiée, handicap, pauvreté...), avec les conséquences qui en découlent, persistent ; dans un contexte où perdure la croyance culturelle que les hommes sont sexuellement agressifs et prennent l'initiative, que les femmes sont passives, destinées à l'usage sexuel, qu'elles doivent être conquises et persuadées même un peu fermement, que le sexe c'est ce que les hommes font AUX femmes plutôt qu'AVEC les femmes, la notion de consentement est carrément toxique au sens où elle fait obligation à la victime d'arrêter l'agression plutôt qu'attribuer à l'agresseur la responsabilité de ne pas agresser.
Enthousiaste (je trouve McKinnon magistrale dans ses autres ouvrages) je recommande la lecture de cet essai de droit aux magistrats, auxiliaires de justice et au personnel de police pour un éclairage sur le sujet.
Quand céder n'est pas consentir
" My Poverty but not my will consents " *- William Shakespeare - Romeo et Juliette, acte V, scène 1
" Quand on parcourt l'histoire des différents peuples et qu'on examine les lois et les usages promulgués et établis à l'égard des femmes, on est tenté de croire qu'elles n'ont que cédé, et n'ont pas consenti au contrat social, qu'elles ont été primitivement subjuguées, et que l'homme a sur elles un droit de conquête dont il use rigoureusement. "
Choderlos de Laclos - Des femmes et de leur éducation.
Il me paraît opportun, dans ce contexte, de verser au dossier ce texte de Nicole-Claude Mathieu, anthropologue et féministe. Quand céder n'est pas consentir est plus ancien (1991) mais il dit avec d'autres mots, peu ou prou la même chose :
" Le terme consentement, apparemment plus anodin, est donc de fait, appliqué au sujet opprimé, plus fort et plus grave que le mot pourtant violent mais plus objectif de collaboration. On peut alors se demander pourquoi il fait moins peur, il "passe" mieux, il est mieux agréé par beaucoup de femmes que le mot collaboration. Je vois à cela plusieurs raisons :
1 - Le mot consentement appliqué aux dominé(e)s annule quasiment toute responsabilité de l'oppresseur, puisque l'opprimé consent, il n'y a rien de véritablement immoral dans le comportement du 'dominant'. L'affaire est en quelque sorte ramenée à un contrat politique classique.
2 - Le mot collaboration, en tous cas dans le contexte européen de l'après-nazisme, contexte loin d'être oublié, suppose une conscience mauvaise (moralement répréhensible) tant de la part du dominant que du dominé, alors que le mot consentement suppose une conscience... tout court. Et de quoi l'opprimé a-t-il le plus besoin pour survivre, sinon de pouvoir dire que ce qu'il vit, il le décide, il le fait, il le reconnaît comme part de lui-même ?
Ainsi, avec le terme consentement, d'une part la responsabilité de l'oppresseur est annulée, d'autre part la conscience de l'opprimé(e) est promue au rang de conscience libre. La bonne conscience devient le fait de tous. Et pourtant, parler de consentement à la domination rejette de fait, une fois de plus, la culpabilité sur l'opprimé(e). "
Quand céder n'est pas consentir - Nicole-Claude Mathieu. L'anatomie politique. Catégories et idéologies du sexe - 1991
En conclusion En France on a cette détestable habitude de vouloir changer les lois en fonction de circonstances qui surviennent postérieurement à leur rédaction. Or les lois sont normalement écrites de façon à définir et couvrir tous les cas de figures ; on ne peut pas avoir une loi pour chaque cas qui se présenterait, ce ne serait pas tenable, et cela invaliderait même toute idée de droit. La jurisprudence, les jugements et interprétations faits par les magistrats abondent la loi, en faisant autorité. Notre définition du viol dans le Code pénal est ramassée, concise et précise en même temps. Chaque mot en a été pesé par le législateur. Elle inclut même la personne de l'auteur qui imposerait sur lui-même ces mêmes contraintes à sa victime. Je ne pense pas, à l'instar de Catharine MacKinnon, qu'on puisse faire mieux. Cette définition est parfaite, n'y touchons pas. Cessons cette habitude de juger le comportement des femmes, en ergotant sur le comportement délictueux et criminel des hommes agresseurs en leur trouvant des excuses, tandis que les femmes, elles, sont toujours coupables de quelque chose.
* Traduction du vers de Shakespeare : " Ma pauvreté consent, mais contre ma volonté."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire