mardi 30 avril 2024

Comment l'humanité se viande - Le véritable impact de l'alimentation carnée

Ecrit par Jean-Marc Gancille, cet ouvrage vient de sortir en librairie.


Dans ce petit essai de 152 pages, Jean-Marc Gancille reprend son plaidoyer commencé avec Carnage (que j'avais résumé dans cet article de mon blog), plaidoyer argumenté pour les animaux, pour une écologie sentientiste, et au final pour une agriculture végane sans élevage et sans amendements animaux. 

La première partie de l'ouvrage rappelle les chiffres affolants d'animaux tués (80 milliards chaque année) pour nourrir les 8 milliards d'habitants qui peuplent la planète, dont 4 milliards environ de classes moyennes aux besoins insatiables. Sans oublier que le carnage se commet également sur les mers et les océans du globe. Le pire, si c'est possible, a lieu en mer. L'emprise humaine de la pêche artisanale et industrielle est en effet bien plus importante que sur les terres, les océans occupant plus de place sur le globe que les terres émergées. Avec les inconvénients que l'on sait maintenant, sauf à vivre depuis 20 ans dans un caisson hyperbare insonorisé. Accaparement de terres cultivables pour nourrir des bêtes, destruction des habitats des animaux sauvages, de la biodiversité terrestre animale et végétale, de la faune marine, réchauffement climatique dû à la déforestation et aux émissions de méthane, pollution de l'air à l'ammoniac, pollution des eaux par eutrophisation avec les rejets d'effluents surchargés en nitrates, tels le lisier de porc, comme en Bretagne, en Chine, dans le Golfe du Mexique, tous littoraux truffés d'algues vertes ou de sargasses, se nourrissant des effluents des élevages.

Avec d'autres risques : antibiorésistance, pollution médicamenteuse, et dégâts pour la santé publique par consommation excessive de protéines et de graisses animales ; risques accrus de mutation de virus provenant de zoonoses frappant des animaux aux organismes affaiblis, tous génétiquement identiques, vivant confinés et mal portants, et donc d'épidémies ravageuses pour les humains. Les maladies épidémiques de grippe, variole, malaria, tuberculose, typhus, diphtérie, rougeole, fièvre jaune, peste, choléra sont apparues il y a 10 000 ans avec l'élevage, du fait de la proximité entre humains et animaux. Aujourd'hui, le virus de la grippe aviaire, particulièrement létal et résistant, qui a dévasté les populations d'oiseaux d'élevage et d'oiseaux sauvages en 2020 et 2021, H5N1, c'est son petit nom, donne des sueurs froides aux autorités sanitaires. Des oiseaux, il est passé aux mammifères, il contamine désormais des bovins. 

L'auteur s'applique dans un chapitre à démythifier nos croyances et démystifier nos sentimentalismes culturels pittoresques à propos de la chasse, de l'élevage et de la consommation de viande. Tels que les prairies stockant le carbone, les amendements organiques "nécessaires" pour les cultures, fumier, purin ou leur compromis moderne, le lisier, l'entretien des paysages par les paysans (dont on sait qu'ils les saccagent, en réalité, pour faire passer leurs gros engins agricoles), le bocage (talus entourant les champs, surtout garants des limites des propriétés et contenant les animaux, les empêchant de fuir), le mythe du "petit élevage" comme de la "petite pêche artisanale", tous aussi destructeurs sinon plus que l'intensif, car à plus forte intensité foncière donc d'occupation d'espace, le pastoralisme (subventionné) ravageant les flancs des montagnes, toujours en guerre contre les prédateurs (loups, lynx, ours) et tous les animaux sauvages accusés de disséminer la tuberculose bovine et toutes sortes de pestes. Le rêve des éleveurs, c'est des animaux sauvages tolérés derrière des clôtures, et des animaux d'élevage dans les vastes espaces sauvages, en contradiction totale avec le contrat des débuts, au Néolithique : des animaux sauvages devenus captifs, vivant en enclos, nourris, soignés, abrités par les humains, contre l'échange de leur vie, leur mise à mort, pour nous fournir en viande en fin parcours. 

Gancille débunke aussi le locavorisme pas forcément plus vertueux s'il est obtenu sous serre chauffée, et last but not least, la fameuse 'transition écologique', en prouvant que l'humanité n'a jamais, au cours de son histoire, transitionné vers d'autres formes d'organisation sociale que celle dont nous subissons aujourd'hui les conséquences. Tous ces arguments sont, de fait, des croyances que nous avons dû nous inventer et entretenir pour justifier le massacre. Comme la croyance indéracinable au "progrès" qui ferait forcément advenir une nouvelle ère de prospérité et de rendements croissants, comme lors de la mythique "révolution verte" des années 1960. 

Jean-Marc Gancille plaide en conclusion pour la sortie planétaire de l'élevage et du système carniste avant que nous ayons tout saccagé pour satisfaire nos estomacs : le désert avance, le chaos climatique menace notre confort et notre vie même ; le futur sera végétal ou ne sera pas. La phrase de Gunther Anders " nous ne vivons plus dans une époque mais dans un délai " est en exergue de l'ouvrage. 

Il y a quelques lueurs d'espoir, tout de même : l'élevage bovin (le plus destructeur) est en perte de vitesse, sans aides, hélas, pour une transition professionnelle en douceur. Ce sont d'ailleurs les éleveurs de bovins qui voient le plus de saisies de leurs animaux pour des raisons de délaissement, cachant mal des cas sociaux dramatiques. Des pays, la tête sous les excréments, tels la Hollande -pourtant dirigée par une coalition de centre-droit-, veulent imposer à leurs éleveurs une diminution de 30 % de leur cheptel, mesure très impopulaire. C'est dire si la situation est devenue intenable. La FAO, l'ONU et l'OMS lancent des avertissements sur les désastres à venir, et des coalitions internationales tentent de démontrer le vrai coût des protéines animales en incluant dans leur prix les nombreuses externalités négatives afin de faire pression sur les institutions européennes, dont il convient de rappeler que le budget de la PAC (Politique Agricole Commune : 37 % du budget de l'UE) contribue largement au ravage et à ses conséquences désastreuses à venir. 

" Arrêter de manger les animaux n'est pas 'un petit geste individuel', mais une décision éminemment politique qui engage le collectif tout entier. Renoncer à la viande et au poisson, c'est exprimer trois fois par jour et au moins mille fois par an, le refus de cautionner un système de domination extrêmement cruel, qui ravage les conditions de vie sur la planète. C'est un choix qui n'a rien d'une préférence alimentaire, mais un engagement qui exprime en permanence l'opposition courageuse à une norme culturelle omniprésente devenue suicidaire pour la société. " 
 
Passer à une alimentation végétale est facile et peu coûteux à réaliser. Cela dépend de chacun de nous de s'y engager et d'en constater les avantages. Il suffit juste de faire une révolution culturelle dans nos mentalités, nos assiettes suivront. Nous avons su nous unir planétairement en 1986 et 2020 pour lutter contre deux fléaux, la destruction de la couche d'ozone par les CFC, désormais bannis, et pour arrêter la pandémie mondiale de COVID 19. Pour la menace climatique, nous devrions pouvoir le refaire ? Même si cela demande un changement de nos croyances, de nos pratiques culturelles et de nos modes alimentaires. Très documenté de statistiques et de références disponibles, émanant d'organismes scientifiques tout à fait sérieux et reconnus, cet ouvrage de bonne vulgarisation est à mettre entre toutes les mains.

NAISSANCE du SAHARA 

" L'anthropologue David K Wright soutient que l'élevage est un agent actif de la désertification du Sahara, qui s'est étendue à mesure que les humains guidaient le bétail vers de nouveaux pâturages. Couplé à la croissance démographique, le pastoralisme y favorise la dévégétalisation et les changements de régime dans les écosystèmes : réduction de la productivité végétale, homogénéisation de la flore, transformation du paysage en une zone dominée par les arbustes et augmentation générale de la végétation xérophile (plantes vivant seulement en milieu aride). Il considère l'introduction des troupeaux comme facteur décisif à l'origine du franchissement de seuils écologiques. C'est l'élevage de pâturage qui aurait catalysé les rétroactions négatives entre les domaines terrestres et atmosphériques, précipitant la désertification du Sahara, autrefois caractérisé par un biome riche en végétation, avec des forêts et des broussailles.

In Humans as agents in the termination of African Humid Period" David K Wright. Cité dans l'ouvrage. 

Les citations en gras rouge et bleu sont tirées de l'ouvrage. 

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