vendredi 6 mars 2020

Kate Millett, Catharine MacKinnon, Angela Davis :Trois classiques féministes en poche

Les Editions des Femmes ont la bonne idée de publier en poche, trois classiques de la littérature féministe sous couverture ROUGE révolutionnaire. Excellente idée, l'occasion de les lire ou relire, de constituer, ou refaire son fond de bibliothèque.



Sexual politics, la thèse de Kate Millett dont j'ai publié sur ce blog plusieurs extraits, est une analyse de la politique du mâle (son titre initial en français) à travers les grands textes de la littérature anglo-saxonne : Henri Miller, DH Lawrence, Norman Mailer, Charlotte Brontë) et française (Jean Genet). C'est un livre à la thématique socio-politique incontournable. C'est aussi grâce à elle que j'ai lu Villette, roman moins connu que Jane Eyre mais plus autobiographique, un chef d'oeuvre en fait, et Jean Genêt, Miracle de la rose et Notre-Dame des fleurs.

Catharine MacKinnon est une juriste féministe américaine qui a travaillé sur le harcèlement, la pornographie et la prostitution, toutes manifestations du pouvoir masculin sur les femmes. Le féminisme irréductible est un recueil de conférences prononcées dans les années 80, axées sur le juridique, on peut dire qu'il sert de soubassement, involontaire mais annonciateur, puisqu'il lui est antérieur, du Mouvement #MeToo actuel.

Angela Davis

Femmes, race, et classe par Angela Davis, militante marxiste des droits des noirs américains, historienne féministe : son ouvrage fonde ce qu'on appelle aujourd'hui le mouvement intersectionnel, croisant les oppressions de race, classe sociale, et sexe, sur fond historique de l'Amérique du Nord : traite des africains aux fins de mise en esclavage, travail et reproduction forcés, révolte d'une partie de la population noire fuyant les plantations via l'underground railroad ; guerre civile entre le Nord et le Sud (que les français appelle guerre de Sécession), suivie par la politique ségrégationniste et les lynchages dans le Sud, par le cynisme du Nord ; le combat pour la sortie de l'esclavage est suivi par celui pour les droits civiques des afro-américains, lequel est concomitant avec le suffragisme des femmes étatsuniennes qui, de fait, se disent qu'elles non plus n'ont aucun droit citoyen. Les deux mouvements vont s'inspirer l'un de l'autre, alternativement être solidaires souvent, puis de temps en temps concurrents.


Les intérêts des unes et des autres vont sans arrêt respectivement s'inspirer, s'accompagner (lors du vote pour les 14ème, 15ème amendements, droit à la citoyenneté et au vote des anciens esclaves, 19ème amendement : droit de vote des femmes, puis devenir concurrents pour des causes d'agenda, et de real politique (fracture entre le Nord et le Sud), notamment au moment de l'arrêt Roe Vs Wade (avortement 1973) vécu douloureusement par les femmes noires pour des raisons historiques. Le féminisme est bien entendu au début propulsé par des femmes blanches de la classe moyenne éduquée : Angela Davis rend hommage aux quakeresses qui apprendront à lire aux noir-es, les quakers croient en effet à l'égalité et à l'éducation, puis ces dernières, éduquées, excellentes, rejoindront le mouvement, et toutes s'accompagneront solidairement en d'autres circonstances. Les femmes de chambre et domestiques noires (postes toujours massivement tenus par les femmes noires aux USA, c'est un reliquat de l'esclavage) sont d'ailleurs plus proches du combat de la classe des femmes blanches ouvrières travaillant en usine, que des féministes de la classe moyenne haute. On voit bien que toutes les femmes blanches ne sont pas non plus logées à même enseigne.

L'outil d'analyse socio-politique intersectionnel est surtout valable aux USA : la France qui a connu la colonisation n'a jamais été un pays esclavagiste, et si la constitution américaine est une déclaration des droits, le Bill of rights, ses 10 premier amendements, écrits, d'après mes calculs, quelques mois avant la Déclaration universelle des droits de l'homme de la Révolution de 1789, inspirée des philosophes français des Lumières et d'Alexis de Tocqueville, la comparaison s'arrête là. Il me paraît hasardeux de l'appliquer politiquement chez nous, sans adaptation. Il n'y a jamais eu chez nous de racisme d'état. On peut même dire que la Première Guerre mondiale a permis une prise de conscience des noirs américains venus se battre en Europe dans la Somme, qui demandaient en arrivant à leurs alliés, soldats belges et français étonnés "où sont les toilettes pour noirs ?", à quoi ceux-ci répondaient on imagine devant l'étrangeté de la question, que franchement tout le monde va dans les mêmes chiottes, c'est quoi ce truc ? Ils ont ainsi pris conscience que le ségrégationnisme ne faisait système que chez eux, qu'il n'était ni universel, ni donc inéluctable.
L'analyse intersectionnelle est certainement utile sociologiquement, mais politiquement c'est plus douteux. Elle est facteure de divisions et de concurrence des causes. Angela Davis est une féministe matérialiste universaliste, dont le combat est solidaire de toutes les femmes, quelles soient noires, blanches, ouvrières, femmes de ménage ou de classe sociale plus aisée.

Trois ouvrages à lire ou relire pour mettre en perspective historique les mouvements d'aujourd'hui. C'est pas mal de savoir que le féminisme n'a pas commencé en 2010 :)


1 commentaire:

  1. Oui, se méfier de la mise en concurrence des causes à défendre. Il n'y a qu'un ennemi à combattre, un système fondé sur l'exploitation du plus grand nombre d'êtres vivants par une minorité de "nouveaux féodaux" qui croient que la planète est réservée à leurs chasses à courre.

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