samedi 17 mars 2018

Intersectionnalité ? Ou convergence / divergence ? Conférence de Marie-Jo Bonnet, féministe historique

J'ai assisté à la conférence donnée le 16 mars par Marie-Jo Bonnet dans le cadre des manifestations du 8 mars 2018 à la Maison Internationale de Rennes. Titre de la conférence -il y a une erreur dans la date, le 16 était un vendredi : "Convergences et divergences des luttes intersectionnelles : l'exemple de l'homosexualité". Cela m'intéressait au plus haut point d'entendre une féministe historique, co-fondatrice du MLF, militante lesbienne, dire son point de vue sur l'intersectionnalité, dernière mutation du féminisme - "des féminismes", diraient certaines. Voici mon résumé de la conférence.

Définition de l'intersectionnalité : "Intersection des courbes (mathématiques) et tendances prenant en compte plusieurs critères et interactions dans l'expression des discriminations et des inégalités sociales selon le genre, l'ethnie, le handicap, l'orientation sexuelle... combinant différents effets de façon positive ou négative.". Le féminisme intersectionnel est au départ basé sur une notion juridique nord-américaine théorisée par le Black Feminism issu du mouvement des Civil Rights dans les années 70 (Elsa Dorlin, anthropologue du féminisme africain-américain), constatant que les femmes noires étaient déboutées de leurs plaintes pour discriminations sexistes au motif que la jurisprudence ne constatait pas ces cas lors de précédents jugements -majoritairement issus de plaintes pour discriminations sexistes de femmes blanches. Il fait le constat que les discriminations sont multicritères, qu'il y a pluralité de discriminations de classe, race et sexe, qu'elles se croisent, s'additionnent et peuvent ou non se renforcer. Il y a invisibilité des discriminations et elles peuvent être relatives à un groupe donné.

Herstoire du Mouvement des femmes, du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) et du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire)

Cofondé au début des années 70 par des féministes militantes à la suite de Mai 68 : Monique Wittig, Marie-Jo Bonnet ( MJB), Christine Delphy, lesbiennes militantes, Françoise d'Eaubonne, hétérosexuelle homophile, et d'autres, le féminisme du MLF se veut universel : c'est "le Nous des femmes" explique MJB. Proprement révolutionnaire, c'est la première fois dans l'histoire que les femmes libèrent leur parole en disant "nous", de fait, séparateur des hommes. D'ailleurs, les hommes (hormis les gays avec le FHAR qui sera de toutes les manifestations derrière les femmes et leurs banderoles, car dit MJB, " il y avait du commun ", les gays étaient aussi silenciés), la plupart de leurs réunions à la Mutualité à Paris ne seront pas couvertes par l'ORTF de l'époque, les journalistes et les cameramen étaient refoulés de la salle, car de sexe mâle. La prise de conscience suivra, et l'ORTF formera et nommera des femmes dans ces deux métiers masculins pour pouvoir rendre compte du Mouvement des femmes et de leur prises de parole publique, hors lieux clos comme par exemple les prisons. Les années 70 et le mouvement féministe portent une contre-culture avec le "menstruel" féministe Le torchon brûle, Tout!, le journal des homos, et leurs slogans communs : A bas la virilité fasciste, à bas la dictature du phallus !
Monique Wittig, féministe et lesbienne radicale aura une phrase considérée comme malheureuse en 1980, rejoignant ainsi la pensée de Simone de Beauvoir sur le genre, en substance, les femmes sont des hommes comme les autres : "les lesbiennes ne sont pas des femmes" qui doit se lire comme les femmes hétérosexuelles vivent sous le joug du phallus, soumises aux hommes, les lesbiennes, elles, s'excluent de ce genre, car elles n'aiment pas les hommes, elles s'aiment entre elles.

A partir de 1981, c'est la fin de la communauté (classe sociale) des femmes, retour aux rapports sociaux de sexe, le mot femme disparaît au profit de "genre", les gays veulent se féminiser alors que les féministes n'en peuvent plus et rejettent radicalement ce concept de "féminité" considéré comme aliénant, les lesbiennes disparaissent, littéralement occultées, lors des années SIDA. Les hommes gays meurent massivement de l'épidémie, ce qui va provoquer un activisme gay, et les subventions vont aller aux associations gays de lutte contre le SIDA. Les lesbiennes se séparent des gays pour aller vers les femmes hétéros.

Années 2000-2010, le combat pour le PACS et le "mariage pour tous" : ces combats aboutissent selon MJB à une "normalisation des gays" ; pour MJB, l'homosexualité est une chance, c'est être non "main stream", à contre-courant, bénéficier d'un "stand point" (point de vue) hors norme. Le Mariage pour tous a été vendu à l'opinion comme une conquête de l'égalité, alors qu'il ne s'agit pas d'égalité au sens "droits de la personne, droits humains", mais de fait, d'une égalité entre couples hétéros et homos, les discriminations individuelles demeurent. Je pense qu'on peut dire la même chose de la PMA car les femmes célibataires en sont exclues. Quand à la location d'utérus, euphémisée sous l'acronyme de GPA* (tour de passe passe, le A suggérant l'altruisme), elle n'est ni plus ni moins qu'un droit revendiqué des hommes gays à l'accès au corps des femmes qu'ils n'aiment pas charnellement, pour porter leur descendance en effaçant la mère. Leur normalisation (et leur indéniable passage dans le camp du phallus) est achevée.

On assiste, dit MJB, à une " dissolution du féminisme dans les genres, la pratique sexuelle est au cœur de l'identité (homosexualité, trans-sexualisme), et le communautarisme est au centre de la solidarité, plus rien ne se transforme par la prise de conscience. Tout se fige dans un face à face destructeur  qui ouvre le règne des genres et du communautarisme sexuel. Fin de l'idée révolutionnaire, fin de la contre-culture. A force de couper la réalité en morceaux, on perd le sujet ".

Et puis, Année 2017 : retour du collectif, les femmes en tant que groupe social s'expriment à nouveau, la parole se libère comme en 1970-1971 avec le Mouvement mondial #MeToo ; elles n'en peuvent plus collectivement des violences, du silence et de l'omerta. Elles parlent, elles dénoncent et balancent leurs agresseurs. " MeToo, le nouveau cycle de la parole ; c'est le sujet qui parle, tout à coup c'est la libération, on parle de ce qui est refoulé dans l'inconscient."

Espérons que le mouvement #Metoo relance la parole collective des femmes. Mais " il faut être ferme sur les principes " conclut MJB.

En conclusion : Je vais tenter moi aussi, pourquoi pas, ma petite revendication intersectionnelle, puisque je fais partie d'un groupuscule dont on ne parle jamais, qu'on n'entend pas, et qui a le bon goût de raser les murs. Il s'agit des femmes célibataires sans enfant, et le comble, nous ne sommes même pas lesbiennes, donc vraiment aucune excuse ! Il va de soi que nous sommes aussi discriminées sur ce statut, en plus du reste : réputées égoïstes, n'ayant que soi à prendre en charge, imposées sur le célibat par le fisc, taxées dans les hôtels pour chambre à lit à une place, et en permanence emmerdées par les invitations de rigueur en couple. Au point de songer à louer un beau grand chien classieux à la SPA et arriver enfin à deux en smoking aux réceptions ! Tabac assuré. En entretien de recrutement, il n'est pas rare de s'entendre demander "mais pourquoi vous n'avez pas d'enfant ?", question parfaitement illégale ; tentez juste d'aller vous plaindre à l'Inspection du Travail ou même au CIDF, c'est l'expérience extrême, on vous y reçoit avec condescendance ou même mépris : les gars du bâtiment passent en premier à l'inspection du travail, et les femmes battues et/ou mères isolées sont les priorités du CIDF (enfin, j'espère, parce qu'à chaque fois que j'ai eu affaire à elles, j'ai été frappée par leur inertie !). Mais non, nous tenons bon, nous faisons et refaisons tous les jours nos choix, en rappelant aux autres qu'un choix, c'est dire non à toutes les autres possibilités, même (surtout) quand on choisit le mariage et la maternité ; nous travaillons notre assertivité et notre autonomie pour laquelle nous ne sommes prêtes à rien lâcher, nous portons nos noms fièrement et répondons à qui nous demande notre "nom de jeune fille" : j'espère que vous avez demandé la même chose au mec qui est passé avant moi, parce que le double standard ça commence à bien faire !", et sommes et restons surtout de fières féministes universalistes, répétant les slogans MLF des seventies "Un mâle, des maux" et "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette" ! Que ferait un poisson d'une bicyclette, grande déesse ?

Mon MLF Albin-Michel Editeur :



MJB est à droite de la photo au premier plan.

"Viol de nuit", "Terre des hommes", "Un mâle, des maux" : slogans du MLF. Très radicaux comparés aux #HeForShe d'aujourd'hui !

Marie-Jo Bonnet, historienne de l'art et des femmes artistes, prépare actuellement une exposition "Les femmes et l'art" avec le Musée des Beaux-Arts de Rennes. Exposition prévue pour 2019. A suivre donc.

*GPA : Gestation Pour Autrui
Les citations de MJB sont en caractères gras et rouge.

5 commentaires:

  1. Bien sûr que la France des années 2010-2020 ne ressemble pas à la France de 1971 : la deuxième et même la troisième génération des français d'origine algérienne, marocaine et tunisienne... qui sont venus fabriquer nos voitures et construire nos maisons sont là et veulent affirmer leur identité ; bien sûr, en 1970, la problématique du voile ne se posait pas, hormis chez des femmes cloîtrées chez elles qui ne revendiquaient pas et que personne ne voyait d'une part, ou pour les mieux intégrées, qui se dévoilaient en profitant des luttes des femmes. Bien sûr que nous devons tenir compte de ces nouvelles questions, mais je pense aussi, à l'instar de Marie-Jo Bonnet, que nous devons "être fermes sur les principes". Féministes, laïques et républicains. Les forces réactionnaires et rétrogrades plus vivaces que jamais s'attaquent d'abord aux conquêtes des femmes.

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  2. La volonté d'opposer les femmes aux hommes sur le modèle de la lutte des classes me parait être une erreur fondamentale du mouvement féministe, qui finira par se retourner contre lui. En effet, vous ne pourrez pas empêcher les hommes et les femmes de vouloir être ensemble et de fonder des familles. Considérer l'homme comme un ennemi de classe tout en partageant sa chambre, voilà une situation qui ne peut se passer d'une bonne dose de schizophrénie.

    Ainsi, «ce  féminisme empoisonne l'amour », pour détourner votre billet précédent. Il ne conduira qu'à une forme de négation de soi qui n'a rien à envier à ce que peut imposer le patriarcat. Et tout cela se fonde sur l'illusion que ce sont « les hommes » qui oppriment les femmes, comme si les normes sociales étaient une affaire de choix.

    Quant au refus de la maternité, il ne peut qu'assurer que la génération suivante sera élevée par d'autres. Pas génial si vous voulez changer la culture. Peut être faudrait il plutôt songer à inscrire l'égalité dans la structure du couple et de la famille.

    Enfin, je développe ces positions (entre autres) plus en détail sur mon blog:
    https://lemiroirdesombres.blogspot.fr/

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    1. Il n'y a pas d'égalité possible dans un couple, l'ADN du mariage ou de ses avatars c'est de procurer une domestique au mari. Dans le mariage, les femmes perdent leur nom et leur autonomie. Le divorce est la continuité du mariage par d'autres moyens. Je maintiens que l'amour introduit une dépendance (voulue) parce que les deux ne sont pas à égalité. Les féministes des années 70 dont fait partie Marie-Jo Bonnet étaient plutôt néo-malthusiennes, pas de mariage, pas d'enfants. Certaines se tournaient vers le lesbianisme militant. Le mariage se célèbre devant un autel - c'est à dire le lieu d'un sacrifice. La mariée est conduite à l'autel, donnée/échangée par son père à un autre homme, contre en général une dot. On peut certainement défendre tout ça, ce n'est pas mon cas.

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  3. Pourquoi la société serait-elle susceptible d'évoluer vers l'égalité mais pas le couple, ou la famille? Il me semble que si le mariage est resté inégalitaire, c'est peut être justement parce qu'il a été délaissé par le mouvement féministe. Notamment parce que personne n'a songé à exiger des hommes qu'ils partagent le travail domestique. (Cela change un peu maintenant, heureusement).

    Quant à l'amour, il peut très bien se passer d'enfants, ou de mariage. Je recommande à ce sujet le livre d'Alain Badiou (« Eloge de l'Amour ») pour une très belle défense de cette idée inactuelle.
    Le communisme français, dont est issu Badiou, encensait l'amour, ce qui ne l'a pas empêché de défendre l'égalité des sexes, bien au contraire. Je dirais même que l'amour est indissociable de l'égalité, car on ne peut pas réellement aimer quelqu'un qu'on considère comme inférieur. D'ailleurs, il est intéressant de trouver, aux commencements du féminisme, des couples unis comme ceux formés par John Stuart Mill et Harriet Taylor Stuart, ou Emmeline Goulden et Richard Pankhurst.

    Une voie qui aurait pu être poursuivie au lieu de jouer la carte du séparatisme.

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    1. Habituelle inversion de la charge : la carte du séparatisme ce sont les hommes qui la jouent, entresoi masculin partout, exclusion des femmes de leurs assemblées, de la politique, de leurs distributions de hochets... Allez faire un tour dans votre technopole, dans les écoles d'ingénieurs. Les féministes qui s'investiraient dans le mariage, ce marché aux chèvres, non mais on aura tout lu. Déjà qu'elles se sont précipitées pour défendre la maternité, cette construction sociale aliénante selon moi, où elles portent toute la charge et ensuite affrontent des masculinistes violents dans certains cas, qui leur réclament le partage équitable de la garde des enfants, les femmes en conservant de toutes façons la CHARGE ! Mais je comprends bien que vous défendez les privilèges de votre classe sociale. Fin de la discussion.

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