lundi 20 mars 2017

Les animaux ne sont pas comestibles

C'est l'itinéraire d'un omnivore, devenu végétarien, puis végétalien, puis végane (définitions ci-dessous), au hasard des épreuves infligées par la vie : un chien et un mouton offerts dans l'enfance déclenchent une première prise de conscience non suivie d'effet, normal quand on est un enfant impuissant face à l'injustice, car ce sont les adultes qui imposent leur loi. Le chien su(rv)ivra, mais le mouton finira en conserves lors d'une migration de la famille de l'auteur vers la ville, la pauvreté servant d'argument pour le meurtre du copain animal mouton, pas celui du chien. Il faut du temps et de l'indépendance d'esprit pour se forger une conscience dans une société qui pratique à telles doses les incohérences spécistes et l'annihilation de toute empathie depuis la plus tendre enfance pour faire passer ses messages et traditions carnistes. Les épreuves personnelles (deuil, chômage, maladie,...) peuvent faire évoluer vers une alimentation non-violente. C'est le cas de pas mal de végétariens et végétaliens que je connais. Les traitements hospitaliers inhumains infligés en fin de vie au père de Martin Page contribueront aussi à cette conscientisation. De végétarien se nourrissant d'œufs et amateur de fromages, il glisse vers le végétalisme strict, en donnant un blouson de cuir, adoré pendant des années, parce qu'il ne supporte plus de le porter. Puis vient l'étape de l'engagement politique en véganisme, mouvement pacifique de libération des animaux, êtres sentients et nés libres comme nous, non destinés à finir à la boucherie pour les animaux dits d'élevage ou de rapport, non destinés à être torturés dans les laboratoires des sous-sols des hôpitaux parisiens ou d'ailleurs, et non destinés à être enfermés et dressés pour le caprice des humains dans des delphinariums et dans des cirques.


LES DÉFINITIONS DE MARTIN PAGE

Végétarisme : "Pratique alimentaire qui exclut la consommation de chair animale (petit rappel : les poissons sont des animaux, si on mange du poisson on est donc un omnivore)."

Végétalisme : "Régime alimentaire qui exclut les produits animaux et issus des animaux. C'est la version alimentaire et dépolitisée du véganisme."

Véganisme : "Mouvement politique en faveur des animaux et opposé à la suprématie humaine. Il consiste à ne consommer aucun produit ou service issus des animaux ou de leur exploitation, et à militer publiquement pour que les animaux soient considérés comme des individus."

Spécisme : "Considération morale supérieure que les humains accordent à leur propre espèce, et le traitement discriminatoire qui en découle, notamment à l'encontre des animaux d'élevage, destinés à l'expérimentation ou considérés comme nuisibles." Par extension, il  renvoie aussi à une considération morale discriminant les espèces : les animaux de compagnie et les animaux en voie de disparition voient leur intérêt davantage pris en compte.

Vademecum de la / du parfait.e militant.e, à potasser et à avoir sur soi, ce livre est aussi une somme de ressources : mon choix forcément partial.

Conseils en alimentation, très pragmatiques, où trouver ses protéines (partout), son calcium, toutes les vitamines et nutriments nécessaires à une bonne alimentation et une bonne santé sans exploitation des animaux, comment lire les étiquettes. C'est là où serait ma critique : on tombe un peu dans la technique technologique, ce défaut typiquement masculin. Mais ses recettes et celles de sa femme artiste valent certainement le détour. Les différents sites Internet et réseaux sociaux de Martin Page sont à la fin du livre. C'est très didactique et passionnant.

Politique : le végétalisme, et donc le véganisme, sont souvent  présentés comme élitistes, ou comme une nourriture de bobos. Alors qu'il est au contraire tout à fait économique : un kilo de lentilles (même bio) est moins cher qu'un kilo de poisson ou de viande. En revanche, le capitalisme carniste fait que les les plus pauvres vivent dans des déserts alimentaires, des quartiers "défavorisés" où il n'y que Mc Do et la chaîne de supermarché à rayon fruits et légumes étiques, importés et fanés pour aller faire des courses, ou aller manger. Les centres-villes ont des marchés approvisionnés en produits frais, de saison, et locaux qui devraient être accessibles à toustes. Il est plus simple pour pas mal de gens modestes d'aller vers de la viande de mauvaise qualité , parce que tout (l'industrie, la pub, la désinformation nutritionnelle) pousse les pauvres en direction d'une alimentation médiocre ".

Argumentatif : comment répondre (ou ne pas répondre !) aux "cris de la carotte" et autre "Hitler était végétarien" (faux, bien sûr), ces diversions (il y en a d'autres) des carnistes sans arguments : le massacre animal est massif, donc la réalité est douloureuse, faisons diversion, prenons la tangente. Staline, Pol Pot, Napoléon étaient omnivores, il ne viendrait à l'idée de personne de l'utiliser comme argument contre l'omnivorisme parce que le carnisme est l'idéologie dominante et incontestée. Les féministes luttant contre l'idéologie patriarcale sont aussi confrontées aux diversions (reconnaître qu'on subit une oppression massive est douloureux), accusées de ne pas aimer les hommes, alors qu'elles combattent un système. "Tu n'aimes pas les hommes, tu n'aimes pas la viande". Euh, non, les hommes je m'en fous un peu, c'est l'inéquité qui me fout la gerbe, et la viande, j'ai juste dit que je n'en mange pas, et que " ne pas manger les animaux est une libération."

Féminisme et Convergence des luttes : C'est [la philosophe] Margaret Cavendish qui fut une des premières à répliquer à la théorie des animaux-machines de Descartes... On peut aussi citer, plus tard, Frances Power Cobbe et nombre de suffragettes, ainsi que Louise Michel, Rosa Luxembourg, Sophie Zaïkowska, Angela Davis. Evidemment, comme dans tout mouvement, les hommes sont arrivés et ont pris beaucoup de place. Ils ont minoré l'apport des femmes. Qui sait qu'avant Peter Singer, il y a eu Brigid Brophy (The rights of animals) et Ruth Harrison (Animal machines) ? ".  Je rajouterais Mary Shelley pour le végétarisme et son héros compassionnel et végétarien le Monstre de Frankenstein.

Il est aussi regrettable d'entendre sans cesse parler de Singer comme du père de la cause animale. Un combat politique n'a pas besoin de père (toujours cette même vision patriarcale). C'est oublier que l'essentiel des textes et des actions ont été produits précédemment par des femmes dont on a minoré l'importance ".

" Les opprimés ont un privilège épistémologique "- Nancy Hartsock, féministe matérialiste, auteure de The féminist standpoint.

Faites gaffe les hommes et animalistes qui maîtrisez mal certaines notions, et qui faites des rapprochements dangereux, comme j'en vois de temps en temps passer. C'est délicat. Voici ce qu'écrit Martin Page à ce sujet : " si je parle clairement de la guerre faite aux animaux par l'espèce humaine, j'évite de comparer l'oppression des animaux à celles subies par les esclaves, par les femmes, par les Juifs et les Tziganes. [...] Quand Isaac  Bashevis Singer compare le génocide animal à celui des Juifs, et quand il écrit "ce que les nazis avaient fait aux Juifs, l'homme le faisait à l'animal" et "pour les animaux, c'est un éternel Treblinka", il est légitime car il a perdu une partie de sa famille dans les camps de la mort. Ça lui appartient, c'est lié à son histoire ". 

" Je trouve problématique d'entendre des hommes blancs peu engagés contre le racisme comparer l'esclavage des animaux à celui des Africains. Je trouve problématique quand des hommes utilisent l'image du viol pour parler de la manière dont les vaches sont inséminées. Mais quand la militante végane Dallas Rising le fait, je l'écoute. Elle a été victime d'un viol. "

Et à propos de végéphobie : attention aussi à l'emploi à tort et à travers du suffixe phobie : " les véganes ne sont pas opprimés : ce sont les animaux qui le sont ".



Voilà mon résumé, partiel et partial forcément, j'y ai mis ce qui m'a le plus touchée, selon mes préoccupations et convictions. Mais ce livre n'est pas que de la philosophie, il est un vademecum pour les omnis qui veulent évoluer, pour les végétariens et les végétaliens non encore sortis du placard, comme pour les plus avertis des militants. Un investissement utile, un livre à garder et à consulter quand on en a besoin.

Tu ne mangeras plus jamais mes lasagnes, alors ? Demande la mère de l'auteur dont les lasagnes au bœuf avec une louchée de crème, couvertes d'une couche de gruyère fondu, constituaient les repas des dimanches en famille. Mais bien sûr que si qu'on va continuer la tradition familiale, d'ailleurs on a complètement transposé ta recette, elle est devenue végétalienne et elle est tout aussi délicieuse, répond Martin Page. Comme Jonathan Safran Foer qui décide dans Faut-il manger les animaux que désormais on continuera à fêter traditionnellement Thanksgiving avec du tofu, du seitan, et des légumes, mais qu'il n'y aura plus jamais de dinde sur la table.

Les citations du livre de Martin Page sont en caractères gras et rouges.
Les illustrations sont de Laurence Chéné.
Désolée pour les liens en anglais, mais les notices Wikipedia en français des philosophes anglaises sont soit quasi vides, soit ne mentionnent pas le véganisme d'Angela Davis, ni les féministes "for animal rights" américaines.

2 commentaires:

  1. C'est quand même gentil d'être passé le lire (via Affichage Libre, certainement -que je remercie de m'avoir mise dans son blogroll widget :)

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