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dimanche 25 février 2024

Hors d'atteinte

Cette semaine, j'ai lu ce roman que j'avais mis il y a quelques semaines sur mes étagères virtuelles de Goodreads et Babelio. Il m'avait paru prometteur et pile dans ma ligne éditoriale ! 


Erin, jeune femme parisienne abîmée par une liaison avec un homme pervers manipulateur qui la dévalorise, la tient les doigts en crochet sur la nuque quand ils sont ensemble dans la rue, trouve la force de rompre. Elle adopte un chien prénommé Tonnerre, loue une petite maison avec jardin dans les Pyrénées, une voiture, rassemble ses affaires et ses économies, et prend la tangente. C'est la belle histoire d'une réparation en escaladant les pics, en randonnant dans la neige avec son chien devant elle. C'est l'histoire d'une reprise de confiance en soi, d'assurance retrouvée. Erin se reconstruit, se consolide en compagnie d'animaux : son chien, un chat à moitié sauvage et affamé qui finira par lui faire confiance et l'adopter, un renard qui passe familièrement au fond du jardin, un cerf sur le bord de la route, des marmottes siffleuses en montagne, et une hulotte qui tambourine sur son toit la nuit. De belles rencontres, surtout animales, mais aussi humaines. Un bel hommage à la nature revigorante et aux animaux, compagnons sincères et amicaux, sans jamais juger. Un petit roman court de 150 pages qui fait du bien, publié chez les Editions Cambourakis, engagées et féministes. 

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Dans mes pérégrinations sur les plateformes sociales, j'ai remarqué deux publications sur X/Twitter (on ne sait plus comment l'appeler !) : un post d'une abonnée demandant aux hommes "non violents" de rejoindre les féministes afin de faire avancer notre cause. Nouveau concept : 'nos alliés'. Je tombe sur un deuxième de Sandrine Rousseau, qu'on ne présente plus, post dédié à l'affaire Gérard Miller, où, tombant des nues, elle publie que si les "alliés" s'y mettent eux aussi à agresser et violer des femmes, sur qui pouvons-nous alors compter ? Sur nous-mêmes par exemple ? En effet, Gérard Miller soutenait sur tous les plateaux, du temps de sa puissance médiatique, la parole des femmes contre celle des agresseurs. Il me semble que poser la question c'est y répondre. Il n'y a pas plus d'alliés que de beurre en broche, il nous faut compter uniquement sur nous-mêmes, c'est cela qui est révolutionnaire et sain. En qualité de féministes matérialistes tout au moins, nous sommes engagées dans une lutte des classes, classe sociale femme revendiquant la considération et des droits égaux face à la classe sociale homme qui a tous les pouvoirs ; où verrait-on ailleurs qu'en féminisme, par exemple des syndicalistes, demander à des patrons plus conciliants que les autres (il y en a) de se joindre à leur combat et revendiquer avec eux de meilleurs salaires et conditions de travail ? J'ai bien peur que le transfuge de classe (Edouard Louis, ou Annie Ernaux pour en citer deux très connus) ne va que dans un sens, le vertical ascendant : du supposé bas, vers le supposé haut. En féminisme, je peux en citer deux qui sont restés confidentiels et sans émules, car réputés traîtres à leur classe : Léo Thiers-Vidal pour la France, John Stoltenberg pour les Etats-Unis. Lisons-les, chérissons-les, à mon avis ils n'auront pas de postérité, hormis bien entendu, leurs ouvrages. Le patriarcat les méprise comme il méprise tous ceux qu'il considère comme "déclassés". Refuser la virilité pour aller vers le camp des femmes correspond à un déclassement pour le système patriarcal. 

Dans mon précédent billet, écrit un peu à l'humour, je parlais des femmes qui se trouvent des beaux ténébreux en prison : il semble que ce n'est pas si rare finalement. Dans un article de Charlie Hebdo du mercredi 21février, Laure Daussy évoque un cas assez étonnant : la dame est une rescapée de meurtre conjugal. Elle rencontre son mec au parloir, où il lui sort déjà une lame, elle se met avec lui quand il sort, il la maltraite et la cogne, elle dépose plainte, mais continue malgré tout la relation, pour enfin le quitter et le poursuivre devant les tribunaux. Elle fera l'expérience de la justice défaillante auprès des femmes, qui ne la convoque même pas au procès de son prince, qui depuis a été expulsé vers le Maroc, où il pourra faire de nouvelles victimes. A lire l'article, la jeune femme est pourtant combative, mais étonnamment après avoir subi les pires avanies. C'est une disposition des femmes de tout supporter, sauf la solitude (condamnée par la société c'est vrai) ce qui ne manque pas de m'ébahir. Et les femmes sont la seule classe sociale impliquée émotionnellement, affectivement, avec l'oppresseur. 

Je pense que les hommes n'ont rien à gagner, de leur point de vue, à faire cause commune avec les femmes. S'ils en espéraient un gain, il y a longtemps qu'ils nous auraient rejointes. Mais ils ont tout à perdre d'une autonomisation des femmes de leur emprise : le pouvoir économique, social et politique, sans parler d'une domestique gratuite à la maison. Ils nous ont domestiquées, castrées psychiquement et métaphysiquement durant des millénaires, une entreprise de démolition littéralement, affectant durablement notre psyché -ce qui explique le masochisme de pas mal d'entre nous et notre capacité à tout gober- en nous persuadant que sans eux nous ne sommes rien, qu'il n'incomberait qu'à nous de montrer notre solidarité, alors qu'eux s'affranchissent de cette obligation. Et l'entreprise marche du feu de dieu. Aux récalcitrantes, ils répliquent par la terreur, en en tuant une de temps en temps, ça fait tenir à carreau les autres ; ils peuvent aussi, en guise d'avertissement, plus bénin pensent-ils, s'attaquer à nos animaux en faisant un carnage, dans l'atonie de la société vu que c'est que des bêtes après tout. Donc personne ne dit rien avant une prévisible escalade. Il est temps de déceler dans leurs pratiques viriles, chasseuses et désinvoltes, pour dire le moins, vis à vis de la nature et de tous les êtres vivants, dans leur comportement de maîtres et possesseurs de tout ce qui vit et bouge, dans leur prétention à réguler (mais pour qui se prennent-ils ?) les autres espèces, à piétiner les autres terriens, les symptômes annonciateurs de graves passages à l'acte. C'est une question de sécurité publique et de survie de l'espèce. 

" They are only great because we are kneeling. " *

Etienne de la Boétie. Discours de la servitude volontaire. 

* 'Ils sont grands parce que nous sommes à genoux'.

vendredi 2 février 2024

Trous noirs

Comme escompté, mon billet ci-dessous n'a pas marché. Flop. Notez tout de même que le module statistique de Blogger n'est pas du tout au point, qu'il ne me comptabilise pas des tas de trucs, exemple l'audience qui vient lire sur l'adresse générale n'est pas comptée dans les statistiques d'un billet donné, et pire, la navigation sur mon blog, non plus. Avec des statistiques comme cela, c'est difficile de compter. Mais quand même, j'ai d'autres indices. Statistiques et culturels. Le sujet femmes se défendant elles-mêmes, n'est pas du tout porteur. Il n'y a qu'à constater le mutisme sur mes plateformes sociales quand j'évoque le sujet. Quand j'ai un partage, c'est quasiment à coup sûr le fait d'un homme, les femmes sont plus timorées, quand j'ai un favori, j'atteins le niveau maximum de leur soutien. Les femmes trouvent encore normal de faire dévolution de leur sécurité à l'adversaire de classe. La légende du preux chevalier est tenace. Le nombre de femmes violées, torturées, tuées après avoir fait confiance à un homme sur une route, pour un 'lift', un dépannage, un service, ou simplement chez elles, est numériquement hallucinant, mais la croyance est tenace. Et l'oppresseur, on vit avec. Imaginez la scène chez la femme de Dino Scala, ou chez le pompier Robert Greiner, à 6 heures du matin, la Gendarmerie débarquant et expliquant à Madame que Monsieur ne rentrera pas ce soir, son ADN a été retrouvé sur les scellés d'une victime de viol et une scène de meurtre remontant à plusieurs années, vu que nous ne lâchons jamais l'affaire. Sur le moment, elles doivent voir flou. 

Les 'femmes de droite' d'Andrea Dworkin sont toujours d'actualité, hélas : on espère avoir trouvé le 'bon numéro' comme prescrit par les hautes instances patriarcales et ses innombrables agent-es, on fait tout comme il faut dans la banalité sociale, on promène le chien, on repasse bien les torchons, on fait double journée pour un demi-salaire, et normalement, ça doit voguer jusqu'au port, vent faible, mer calme, quiétude familiale. Quitter la proie de la domesticité au service de tous, (souvent avant d'être larguée en rase campagne vers 50 ans pour une plus jeune, mais je sors du sujet !) pour l'ombre de la liberté, de l'autonomie et de l'autodétermination, de la légèreté, la liberté de s'affirmer dans un chemin hors du troupeau n'est pas pensable. C'était exactement ainsi que raisonnaient les 'femmes de droite' décrites par Andrea Dworkin dans son ouvrage. 

Malgré le Dieu Moloch qui a toujours faim et qu'il faut nourrir. Malgré les féminicides, qu'on décompte en se récriant que l'état patriarcal ne donne pas assez de moyens, alors que sa police et sa justice arment les agresseurs, en tous cas, ne les désarment pas. Souvenez-vous des centaines de bracelets électroniques anti-rapprochement tout neufs qui traînaient, et traînent encore à mon avis, inemployés, dans leurs tiroirs, les "revenez demain", les plaintes classées sans suite, pendant que les femmes meurent. Faire un exemple sur une de temps en temps, et toutes les 'pisseuses' se tiennent à carreau, terrorisées. Le système fonctionne du feu de Dieu, la soupe est prête, les enfants lavés et couchés, plus qu'à se mettre devant la télé ou Netflix. Pour effacer les petites humiliations multi-quotidiennes qu'ils se coltinent au boulot, rien de tel qu'une femme et une famille sur qui se venger à la maison. 

Plus perturbant encore, les méchants trouvent preneuse. Guy Georges, tueur d'une série de sept femmes, et sa peine touchant à sa fin, donc accessible à une demande de libération, a trouvé épouse en prison, une de ses visiteuses a succombé à son irrésistible attraction (apparemment) et l'a épousé. Nordhal Lelandais, autre tueur sériel d'une fillette et d'hommes, vient d'être père d'un 'enfant parloir' conçu lors d'une visite dans sa geôle. Pauvre môme : encore un qui commence sa vie avec un pédigrée social chargé. Il y a aussi le terroriste Carlos : il a trouvé femme en tôle. Elle était son avocate, elle est devenue sa femme tout en restant son avocate. La femme couteau suisse, en somme. Je pense que si on fait une enquête sérieuse, on va en trouver de pleines charrettes. Non, franchement, vous qui êtes dehors et qui vous plaignez que la drague ne marche pas, tentez l'incarcération ; ça se joue, votre âme sœur, selon la terminologie en vigueur, vous attend peut-être au parloir. 

Moi, je pense que les femmes devraient sortir armées, mais bon, opinion personnelle non consensuelle, pas populaire, tue l'aaamourrrrr. J'ai regardé un samedi Au bout de l'enquête sur France 2, normalement dédiée aux cold cases, mais les émissions sur le crime faisant de l'audience, ils ont embrayé sur les faits divers qui ont défrayé la chronique. Sans un mot plus haut que l'autre : les psychopathes tueurs sont à 99,99 % des hommes, les victimes, lacérées, étranglées, violées, découpées au couteau, tuées au fusil de chasse (dans ce cas, la chasse est ouverte toute l'année !) sont à 99,99 % des femmes, mais silence, motus, pavé sur la langue, énorme éléphant invisible dans la pièce, etc, etc. Ce dernier numéro donc, était sur les deux Frères Jourdain, deux gros mâles frustres du quart-monde, élevés aux allocations familiales et aides diverses (l'élevage est subventionné partout, c'est dingue) vu qu'il faut fournir des troupes fraîches à l'oppresseur ; les frères Jourdain donc, aux mains en battoirs ont enlevé (sans violence, elles sont montées dans leur camion sans contrainte, à quatre), violé et torturé pendant des heures, avec tous instruments imaginables, par tous les orifices possibles, puis étranglé et enterré quatre jeunes filles trouvées au Carnaval du Portel, en Pas-de-Calais, en 1997. La dernière a même été enterrée vivante, l'autopsie lui a trouvé du sable dans la trachée. 

Les hommes font ça et la société et ses psychologues disent que  le mal est sans pourquoi* ! Sans même mettre en garde, sans donner les moyens de se défendre, sans avertissement, rien. On vous livre au bourreau sans états d'âme. Pire même, en encourageant, voire forçant par tous moyens, par dressage social, injonctions, menaces de rater sa vie, les femmes à s'en trouver un, et à s'attacher des sacs de sable et des boulets aux pieds, des menottes aux poignets, de façon que toute cette violence contre nous, violence contagieuse, traversant les générations, se gravant dans les mémoires et les gènes, fabriquant des générations de femmes craintives, des cortèges de mortes, blessées, marquées à vie, où les hommes peuvent venir puiser et se servir, en boucle, perpétuant à jamais un continuum tragique, un terrible hachoir, un meat grinder.


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" Un soleil noir. Au capital d'empathie très restreint "

C'est ainsi que l'autrice de Vers la violence, Blandine Rinkel, décrit le père qui a enchanté, fasciné, et saccagé son enfance. Ogre séduisant à grosse moustache, montrant ses trente-deux dents quand il riait, conteur de légendes antiques et de la sienne propre largement inventée, serrant la gorge de sa fille avec une main en jouant au jeu de la barbichette, lui tordant les bras avec ses grosses mains, balançant des coups de pieds dans la gueule du chien de la famille quand il rentrait du travail, et dissimulant une grenade dans un des tiroirs de son bureau : on est glacée de terreur pendant la première partie du roman, l'enfance de la narratrice ; pour l'épouse qui croit le désarmer par la douceur, et pour sa fille qu'il nourrit de viande de cheval pour l'aguerrir et empêcher chez elle le goût pour les activités de "fillette". Un dressage paternel implacable qui la fera, à l'âge adulte, adopter des conduites à risque, à se mettre en danger. Puis, elle s'éloigne du père toxique pour devenir danseuse et végétarienne, écrivaine, poly-artiste, tous métiers et marotte de "fillette". Un magnifique roman sensible bien écrit, décrivant les séquelles laissées par la violence latente dans laquelle baigne l'héroïne. Roman couronné par le Prix des lectrices de Elle, prix qu'il mérite largement. 

*Citation de Laure Heinich dans Corps défendus.

Un trou noir est un corps céleste dont la force gravitationnelle est telle qu'il attire et absorbe tout objet et toute la lumière qui passe à sa proximité, sans rien restituer. D'où sa couleur noire opaque.