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jeudi 1 décembre 2022

Mars 1979, Kate Millett va en Iran

 Les événements en Iran de ce dernier mois, les femmes ayant amorcé le mouvement, en première ligne pour revendiquer leurs droits humains, ont fait que l'ouvrage de Kate Millett est revenu dans l'actualité. 

A partir de janvier 1978, les manifestations de la classe moyenne iranienne viennent à bout du régime du Shah, empereur depuis 1941, dictateur implacable, mais dans le camp de l'ordre anglo-américain. Le soulèvement est soutenu par l'Ayatollah Khomeini depuis son exil de Neauphle le Château en France.  Les Iraniennes voient d'un bon œil arriver ce qu'elles considèrent être une révolution. Sans mal : le tyran torture, mutile et fait disparaître ses opposants, la corruption règne. Elles iront même manifester une première fois en tchador, (erreur manifeste de jugement, on n'instrumentalise pas impunément un lourd symbole de l'oppression) pour soutenir l'accession des mollahs au pouvoir, signe de changement. L'Ayatollah, arrivé au pouvoir en 1979, donne des gages dans un premier temps, pour mieux maintenir la ferveur. Avant de tenter d'imposer le tchador aux femmes. Elles vont donc manifester une seconde fois pour leurs droits lors de la Journée Internationale des droits des femmes, le 8 mars 1979, en appelant à la rescousse et à la mobilisation des féministes internationales : Kate Millett, connue internationalement comme autrice de Sexual politics, est invitée. D'autant plus qu'elle a milité dans un collectif dénonçant avec des Iraniens en exil, les crimes du régime impérial. 


L'ouvrage est le journal de ces quelques jours d'avant le 8 mars où Kate Millett réfléchit, puis fléchit, se prépare au voyage, visas, bagages, enthousiasme, projets, amies accompagnatrices, contacts avec Simone de Beauvoir, Antoinette (Fouque), Claude (Servan-Schreiber)..., toutes promettent, soit de la rejoindre, soit de s'occuper des relations publiques, communiqués de soutien et contacts avec la presse depuis Paris. Récit aussi de son arrivée à Téhéran, des contre-temps de la manifestation, des contacts avec les féministes iraniennes, de ses changements de campement chez l'habitante ou à l'Intercontinental, son dernier hôtel. Jusqu'à son expulsion autoritaire par le nouveau régime qui la déclare indésirable sur le territoire iranien. Dans une soixantaine de dernières pages crucifiantes, Kate Millett décrit son angoisse d'être arrêtée arbitrairement, de devoir même faire un seul jour en prison. Elle est claustrophobe, elle écrit avoir déjà été enfermée en hôpital psychiatrique et elle ne supportera pas un nouvel enfermement. La désorganisation des différents services de police, l'incompétence bureaucratique ordinaire des dictatures, le pouvoir discrétionnaire qu'ils exercent sur elle et sur sa compagne Sophie Keir, arbitraire dont ces hommes qui savent qu'elles sont lesbiennes, vont jouer jusqu'au bout, les menaçant même de viol. 
 
Quelques citations : 

Conférence de presse :

" Il est difficile de croire que cette masse de gens appartient à la gauche. Il est difficile de croire que cette brutale atmosphère patriarcale puisse même s'associer aux idées socialistes ou révolutionnaires. Ce n'est pas le cas d'ailleurs. La révolution dans cet endroit n'est qu'un mot recouvrant un patriotisme tribal, un patriarcat tribal. Khomeini est omniprésent. Des fusils partout dans la salle.

Les fusils :

" Tant de fusils entre les mains de gens simples, pensé-je. Je hais les fusils. Découvrant dans une rage profonde combien je les hais -combien ils sont injustes, combien il est oppressif qu'un être humain puisse oser pointer cet instrument de mort instantanée sur un autre et le commander comme un esclave. Ce salaud qui ose menacer nos vies comme ça. "

" La loi militaire. La silhouette d'un homme avec un fusil. Parce que bien sûr personne d'autre n'en porte jamais, et celui qui le porte est pris d'une telle frénésie de virilité stupide qu'il devient une personne dangereuse. Armée. "

" La religion dans le chargeur d'un fusil. " 

" Mais le fond de la question, c'est que les femmes et les enfants constituent la population civile sur laquelle on expérimente les fusils. Elles doivent obéir à ceux qui les portent, quels que soient les liens de parenté avec eux. Amants, frères, cousins, maris. Elles ont toujours dû obéir et maintenant ceux qui les commandent sont armés. [...] Les femmes, prises entre une bande de mâles armés et une autre, Shah, Savak, Milice ou Kurdes -toujours otages- dans un état de menace perpétuelle... "

Dans la manifestation qui se tiendra finalement le 12 mars : 

" ... les slogans, les poings levés, le pouvoir de la foule me soutiennent totalement. Ce sont des femmes, comme on se sent en sécurité avec des femmes. Il y en a tout autour de moi, comme c'est étrange de ne jamais redouter de danger physique venant des femmes, seulement des hommes... "

A propos de la contre-révolution de Khomeini : 

" La religion patriarcale gouverne ici, ce qui est inhabituel c'est qu'ici elle ne s'en cache pas, ostensiblement elle soutient l'état qui, comme partout, est le gouvernement des hommes "

" Un groupe d'hommes explose parmi nous en criant : couvrez-vous la tête où on vous la casse ! Des fanatiques islamistes ".  

Les luttes des femmes, toujours secondaires que ce soient les maoïstes ou les islamistes (on retrouve toujours aujourd'hui ce travers à l'extrême gauche intersectionnelle obsédée par l'accusation de racisme si elle dénonce les méfaits des hommes de leur clan ou groupe réputé opprimé) :

" ... l'éternel refrain "Il ne faut pas diviser la révolution, la lutte des classes est plus importante et prioritaire sur l'émancipation des femmes. La femme [doit se tenir] loyalement aux côtés de l'homme qui seul représente ses intérêts. Sois l'ombre de ton homme.

" Les islamiques veulent que nous restions à la maison, les maoïstes que nous ne 'divisions pas la révolution' "

" La tribu ne fait que renforcer le patriarcat "

L'Ayatollah : 

" ... au-dessus, étalé sur le mur comme il l'est partout, l'Ayatollah, bien haut, la voix de Dieu, intermédiaire direct avec le ciel ; la religion patriarcale gouverne ici ; ce qui est inhabituel, c'est qu'ici elle ne s'en cache pas, ostensiblement elle soutient l'Etat, qui, comme partout, est le gouvernement des hommes. " 

Je dédie cette lecture et ce billet aux Iraniennes en lutte, mais aussi aux Afghanes, empêchées d'étudier, de travailler et de se  montrer dans la rue, par le régime Taliban, en train de faire reculer leurs droits au haut Moyen Age oriental. 

Pour un féminisme universel : Martine Storti

" C'est par l'Iran de 1979 que j'ai commencé mon livre Pour un féminisme universel.  " Je suis pour ma part arrivée à Téhéran le 19 mars 1979, le jour où la féministe américaine Kate Millett en était expulsée. " Sur ce lien

" Les hommes ne font pas de révolutions. Ils se contentent de remplacer les pères par les fils. " Françoise d'Eaubonne