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jeudi 16 décembre 2021

Et si les femmes refusaient toutes ces micro-agressions que leur infligent les hommes ?

Les matins, midis et soirs, je vois les secrétaires du centre d'affaires à côté de chez moi descendre dans le parking souterrain pour regagner leur voiture : apprêtées, petit sac à main, clés de voitures, talons aiguilles, manteau chic, elles louvoient parmi les ordures, en fait l'entrée de leur parking souterrain est une décharge à ciel ouvert, les mecs quasiment exclusifs de la boîte qui les emploie laissent sur place les traces de leurs consommations (ils vont fumer là quand il pleut, ces supermen sont en sucre) ; selon une habitude multimillénaire, eux salissent et Bobonne nettoie et endure entre deux nettoyages (éloignés, vu qu'ils sont confiés à la collectivité et que tout le monde s'en branle, donc les ordures s'empilent et s'accumulent), Bobonne ayant différents avatars, femmes de ménage des entreprises de sous-traitance, ou concierges, généralement mâles et qui du coup, rechignent à passer le balai, cet engin de bonnes femmes. Donc, ces dames évitent sur leurs talons aiguilles les masques usagés, les gobelets de café en carton et touillettes, les boîtes de soda et bouteilles de bière jetées après consommation contre les murs pour les casser, et pire, les pissats, crachats, voire plus, bref, c'est immonde. La crasse attire la crasse comme les comportements méprisants et incivils attirent d'autres mauvais garçons (pléonasme !). 

Croyez-vous qu'elles iraient se plaindre ou élever au moins la voix en disant que ce n'est plus possible de traverser un tel tas de déjections pour aller et revenir trois fois par jour du travail, et quel travail : double journée pour un demi salaire comme écrit justement Christine Delphy qui ne s'embarrassait pas de "charge mentale" pour euphémiser son propos et ne pas chagriner l'ennemi principal, et si mi-temps, c'est aussi demi-chômage et finalement demi-retraite, ne nous lassons jamais de le rappeler. 

Mais non, jamais un mot plus haut que l'autre, d'ailleurs, celles qui hausseraient le ton seraient perçues comme des trublionnes, des femmes refusant le sort commun, paillassons endurant les agressions des gars, ancillae domini, le sort des femmes en virilistan ou masculinistan. Pondez, nettoyez, servez la soupe de vos saigneurs, maître et possesseurs, et les vaches seront bien gardées comme en Afghanistan, cet état phare témoignant que les mecs tiennent le monde et les femmes d'une pogne de fer.

De fait, ce sont des micro-agressions, la stratégie des mille coupures : refuser de les voir c'est minimiser et pour certaines qui excusent sous divers prétextes ou cautionnent, c'est collaborer. Subir toute la journée sans broncher cette masse d'incivilités style crachats symboliques dans la figure, c'est s'entraîner, s'endurcir à subir davantage. Les micro-blessures infligées à longueur de journée par ces miliciens du Patriarcat ne sont pas sans conséquences, un haussement d'épaules n'est pas suffisant pour annuler les dommages produits. Etre traitée de "grosse pute" dès 12 ans par un camarade d'école à ses "potes" filles comme j'ai entendu il n'y a pas longtemps dans la rue, durant 200 pénibles mètres avant que j'intervienne pour expliquer que ce n'est pas possible, et d'être renvoyée à la méconnaissance des mœurs de la présente génération, frappée d'obsolescence, renvoyée à la ringardise de celle qui ne comprend décidément rien ! Toutes ces insultes sont destinées à saper la confiance en soi des filles, déjà flageolante vu l'éducation que leur donnent leurs familles et la société, aussi comment voulez-vous qu'elles se défendent en cas d'attaque majeure comme une main au cul, une agression sexuelle, une langue dans la bouche, un doigt dans le vagin... après qu'un  homme les ait coincées dans l'ascenseur ou dans son bureau après avoir fermé la porte à clé ? Certaines ne savent même pas de façon certaine ce qu'est une agression sexuelle ni un viol, tant elles sont habituées à la maltraitance. 

Revenons à mes secrétaires : vu la structure non pyramidale de la société, elles sont secrétaires de direction, donc font partie intégrante de la direction. Il me semble que c'est suffisant pour désigner, dénoncer puis sanctionner les mâlefaisances et manquements à la civilité commune, aucune femme ni personne n'est à leur disposition pour nettoyer derrière eux, et tant pis si leurs mères leur ont, par gestes subliminaux, distillé le contraire, il va falloir désormais s'assumer sans moman. Je ne vois pas en quoi c'est difficile à dire, sauf à vouloir faire durer par tous moyens leurs privilèges indus, surtout ne pas toucher aux coui.lles des gars, ce serait un crime de lèse-masculinité. C'est fou le nombre de femmes terrorisées à cette simple idée de les rembarrer, de les mettre face à leurs comportements turpides. "Ce sont des enfants", ai-je entendu une employée municipale insister quand je me plaignais que je devais enjamber les crachats et pissats de mecs de 15 à 18 ans, 1 m 95, 80 kg (mais avec quoi leurs parents les nourrissent-ils, des tourteaux de soja transgénique ?) pour rentrer dans sa boîte. J'ai fini par arrêter d'y aller. Il y a des limites à la tolérance et à la collaboration. On ne peut pas se répandre en plaintes d'un côté, pour ensuite tolérer toutes les humiliations de l'autre, au nom de je ne sais quel consensus baveux. 

L'assertivité est un muscle, comme la mémoire ou le sens de l'orientation : elle se travaille par entraînement tous les jours. Chaque petit exercice compte. Ne rien laisser passer. Jamais. Que ce soit pour soi, pour une collègue, une amie, ou une passante dans la rue. Ça ne vous rend pas populaire ? Attendez un peu, avec le temps, les choses peuvent changer. Et puis Hanouna est populaire, franchement ça ne fait pas envie ! En tous cas, au moins, ça leur ferait remonter leur niveau d'estime de soi, ce qui n'est pas du luxe, ni secondaire. Le féminisme ce ne sont pas que de grandes et belles idées dans des livres, c'est aussi l'application dans la vie de tous les jours, dans la non tolérance aux micro-agressions. 

Il n'y a pas de fatalité à ce que les hommes soient agresseurs et les femmes agressées, les hommes du côté des emmerdeurs et les femmes toujours du côté des emmerdées. Alors un peu d'assurance ne nuirait pas. Toutes les occasions d'empowerment doivent être saisies, et celles-ci sont à la portée de chacune. Etre capable de dire à des mecs de son entourage professionnel de nettoyer ou mieux de ne pas salir les endroits que vous fréquentez plusieurs fois par jour ne me paraît pas insurmontable. Sauf à avoir perdu tout sens de son propre intérêt ou a être totalement annihilée par le pouvoir masculin alors qu'ils ne sont que des colosses au pieds d'argile. 

" Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.

Etienne de la Boétie 

lundi 6 décembre 2021

La terre au carré : l'écoféminisme de Françoise d'Eaubonne

Choquée par la lecture du Rapport Meadows commandé par le Massachusetts Institute of Technology, approuvé par le Club de Rome, The limits to Growth (Les limites de la croissance) paru en 1972, Françoise d'Eaubonne écrit à l'inspiration radicale et dans la foulée Le féminisme ou la mort paru en 1974. Manifestement, avant que l'expression contemporaine soit inventée, elle souffrait d'éco-anxiété. 

Je relaie sur mon blog l'émission La terre au carré diffusée sur France Inter le 22 novembre 2021 et aimablement signalée par une twitta : l'écoféminisme ou comment lier écocide et patriarcat. Pour une fois, la philosophe Jeanne Burgart-Goutal rend à Françoise d'Eaubonne, féministe radicale, son universalisme et répudie l'idée d'essentialisme, dont on accuse les écoféministes, comme étant un contresens. Vincent d'Eaubonne, le fils 'dégoupilleur de matriarcat' selon ses mots, est également dans le studio et parle des idées de sa mère, qui soulignait comme dans Les limites de la croissance, le hiatus entre les limites de notre biotope, la Terre, et la "cadence de la démographie" ; tout cela s'est fait sous l'empire des hommes depuis le début de  l'histoire. Epistémologie féministe. Françoise d'Eaubonne fait le lien entre toutes les oppressions (nature, animaux, colonisés, femmes) sous le joug des mâles, et invente l'éco-féminisme en 1974 en publiant Le féminisme ou la mort. Dans l'émission, on entend deux fois la voix de Françoise d'Eaubonne, dont une fois où elle évoque la "suppression des hommes" devant un Bernard Pivot tétanisé. C'est passionnant et pas du tout "woke", ni surtout revisité ni renommé selon le vocabulaire actuel. Aussi, elle me paraît intéressante à relayer. 

Rétrolien vers le site de France Inter en cliquant dessus. 

 
" La société mâle et industrielle a détruit l'environnement. Je suis à fond pour que les hommes perdent le pouvoir ". 

" La terre fait 40 000 km de tour et toute la science humaine n'en rajoutera pas un de plus

" J'ai eu une vie quelque peu ratée mais joyeuse. Je ne regrette pas de quitter ce monde compte tenu de ce qui va vous arriver, si ce n'est que j'aurais souhaité vous le laisser dans un meilleur état.
Françoise d'Eaubonne - 2005 année de sa disparition. 

De tous temps, les femmes qui luttaient -et qui luttent toujours- pour leur autodétermination ont été accusées d'être anti-hommes, le procès intenté à Alice Coffin ces jours-ci, à qui on reproche de ne plus vouloir lire ou voir d'oeuvres masculines, ce qui est parfaitement son droit, n'est qu'une resucée des mêmes reproches qu'on faisait aux féministes du MLF, et même aux suffragistes de la fin du XIXème et du début de XXème siècle ! À partir du moment où nous revendiquons nos choix en nous passant de leur avis, ou même en faisant abstraction ou en nous passant de leur personne, c'est pour eux forcément un sacrilège commis contre eux. Toutes nos luttes et nos victoires ont été vues par eux comme des spoliations : le droit de vote comme une spoliation du privilège à décider de tout pour toutes, le droit à la contraception et à l'avortement comme une spoliation de leur droit à contrôler la fécondité des femmes (qu'ils s'étaient adjugé sans l'aval des concernées, et qu'ils gardent sur une large portion de la planète), désormais c'est leur droit divin d'accès aux assemblées où se décide la politique, y compris celle des entreprises, assemblées, où les places sont limitées.

Les féministes (réformistes libérales) qui prétendent que "sans eux on n'y arrivera pas", et qui les appellent à l'aide (#HeForShe par exemple, pour ne parler que de cette campagne) ou qui prétendent que les hommes peuvent trouver pour eux un bénéfice aux acquis féministes se trompent lourdement : ils ont tout à perdre de l'autonomisation des femmes, à commencer par la domestique bénévole à la maison qu'ils reçoivent par mariage et qui ne leur coûte rien, mais dont ils attendent tout, services domestiques, sexuels et reproductifs, un être à leur service, d'où découlent certainement les meurtres de femmes qui veulent partir, crimes paroxystiques commis par des terroristes de la masculinité, mais qui servent d'avertissement pour toutes les autres. Toutes nos avancées ont été obtenues après de longues luttes contre leur farouche opposition menée à base d'insultes, de cris effarouchés, de tentatives d'intimidation contre notre supposé séparatisme, cela peut même aller jusqu'aux coups et au meurtre. Et franchement, pour rester dans le matérialisme, la lutte des classes, puisque Françoise d'Eaubonne avait une formation marxiste, est-ce qu'il viendrait à l'idée de la classe ouvrière d'appeler à l'aide la classe sociale patronale en prétendant que sans eux, les ouvrièr-e-s n'arriveraient pas à défendre leurs droits ?