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lundi 19 février 2018

Comment l'amour empoisonne les femmes


" Le problème avec certaines femmes, c'est qu'elles s'excitent à propos de rien - et qu'elles l'épousent " - Cher, artiste chanteuse.

Cette semaine je propose un billet tentant une critique politique de l'amour qui risque de ne pas trop aller dans le sens des féministes pop, celles qui " reprennent, sans avoir les armes pour le critiquer, le discours des magazines de mode qui détourne depuis longtemps le vocabulaire féministe à son profit "*, selon une citation de Christine Bard, historienne du féminisme, professeure à l'Université d'Angers. Ni dans celui des féministes réformistes libérales qui ont l'air de tout vouloir : le beurre, l'argent du beurre et le crémier. Se marier dans une perspective égalitaire, avoir des enfants, réussir une carrière professionnelle en "conciliant", restent un fort désir des femmes. L'injonction patriarcale et sociétale est puissante : on doit rencontrer l'amour, garder l'amoureux, et pour réussir sa "vie de femme", procréer et donner au moins deux ou trois beaux enfants au Prince Charmant. La politique nataliste française y pousse d'ailleurs fortement. Le problème c'est que la vie nous apprend que nous devons faire des choix et que choisir c'est élire une chose, et dire non aux autres possibilités. Le choix est discriminant. Et frustrant.

Mon fil d'abonnements Twitter est rempli de nouvelles et liens d'agressions sexuelles, de batailles homériques entre époux lors des divorces (demandés à 85 % par les femmes ainsi que la "garde" des enfants -alors qu'on devrait plutôt dire "la charge" (Delphy), mais le choix du vocabulaire fait aussi partie des conventions aliénantes ; il est truffé de recensement des meurtres maritaux relatés en formules euphémisantes comme il se doit par les journalistes complices de la société patriarcale tentant de noyer le poisson eux aussi, dans les pages Faits Divers de la Presse Quotidienne Régionale. Il faut préserver l'institution pour ses principaux bénéficiaires : les hommes. Bravo à ces militantes pour ce travail fastidieux et débilitant, car la fréquence des meurtres, tous les trois jours environ, ne faiblit pas. L'amour blesse et tue, déchire les parents et les enfants, quand il y en a, lors des divorces, mais aucune critique n'est émise sur ce singulier sentiment à l'évidence pathologique qu'est l'amour. Chacune travaille en profondeur son petit segment dénonçant sans relâche la violence masculine endémique, voire épidémique, puisque pour les cas extrêmes, des générations de femmes, de grand-mère, en mère, puis fille reproduisent la malédiction, en tombant comme par hasard systématiquement sur un violent, cogneur, violeur et incestueux. Lire par exemple Laetitia ou la fin des hommes par Yvan Jablonka, ou allez voir le film Jusqu'à la garde de Xavier Legrand où l'on voit clairement la fille tomber dans le même piège que sa mère pour fuir la violence familiale.

Mais ceci posé et documenté, que fait-on ? Quand il y a réponse, elle est toujours la même, partielle selon moi, éduquer les garçons, leur dire de ne pas cogner ni violer, de ne pas agresser les filles. Évidemment je suis 100 % d'accord avec ça, c'est bien la première chose à faire, quoiqu'on ne voit pas la société s'empresser réellement, il y a toujours d'autres sujets tellement brûlants à traiter avant ! Et puis ne rien préconiser pour les filles et femmes, n'est-ce pas répondre seulement à moitié au problème ? Les garçons et la désastreuse façon dont ils sont élevés sont un problème, les filles ne pourraient-elles pas être la solution ? Ne peut-on pas en tous cas travailler sur cette hypothèse ?

C'est quoi l'amour ? Une affaire d'ocytocine, de progestérone ? Une construction sociale ? Un comportement, dévoyé en sentiment pathologique et toxique ?


Selon Peggy Sastre, Docteure ne philosophie des sciences, spécialiste de Darwin, tout est affaire de biologie, de sélection naturelle : l'addictive ocytocine, hormone provoquant bien-être et apaisement secrétée lors de l'orgasme, et la progestérone qui régit les réactions du corps de la femme enceinte et bloque son système immunitaire tentant d'expulser la moitié "non-soi" du fœtus puisqu'une moitié vient du père, voilà les ennemies. " L'amour, même lorsqu'il n'est pas pathologique au sens strict, partage avec la dépendance une foule de structures cognitives, de schémas comportementaux et de processus neurochimiques". On ne présente plus Peggy Sastre : rien à voir avec la construction sociale, tout à voir avec la biologie. Si la préférence des femmes, même des féministes, dont une grande proportion sont des lesbiennes (si seulement, mais c'est faux !) "va à des partenaires physiquement et socialement dominants, des bad boys, des "babouins de compète", c'est parce que ces derniers sont capables de les protéger des prédateurs internes et externes de l'espèce". L'antispéciste que je suis s'insurge : comparer les babouins aux mecs de l'espèce humaine est diffamatoire pour les babouins, franchement :( C'est l'hypothèse du garde du corps. Elle a façonné notre psychologie de femelles. De même, notre aversion pour le sale et les charognes, c'est parce que nos organes génitaux sont plus sensibles, nous avons plus de chance de contracter des infections car nos muqueuses génitales sont plus importantes que celles des hommes ; du coup, nous faisons le ménage pour restaurer le propre, alors que nos mâles font le ménage pour contenir le sale ! Nuance. Ce dégoût qui toucherait plus facilement les femmes fait aussi que les végétariens sont aussi en immense majorité des végétariennes. Bref, Mesdames, libérez-vous de vos hormones. D'ailleurs, Peggy Sastre donne une explication originale : le féminisme se serait imposé à cause de la "pasteurisation de la société". L'hygiène, les vaccins, permettant une plus grande sécurité sanitaire pour les femmes, diminuant les pathogènes et les risques pour la santé auxquels ils exposent, auraient permis l'avènement du féminisme, et une plus grande promiscuité. Bien que truffé de notations scientifiques sur les hormones, le livre est drôle et enlevé, et par moments j'ai beaucoup ri.

Toutefois dans cette perspective du tout hormonal et de l'inscription dans les gènes, on se demande pourquoi la société perdrait un temps infini à nous pourrir la tête, à nous les filles, dès le berceau, avec des poupons et des dînettes en plastique, des contes à dormir debout sur le Prince Charmant -qui a la fâcheuse tendance à transformer la princesse charmante d'un jour en bonniche toujours-, et qu'en plus nous serions désireuses de leur passer la bague au doigt, pendant que les mecs eux, nettement moins investis dans l'aaamourrr -fait indéniable-, cette affaire de femmes dépendantes, seraient tout occupés à retarder le moment fatidique. Évidemment, c'est une grossière inversion patriarcale : eux seuls ont besoin du mariage pour savoir que leurs enfants sont les leurs ; ils détestent les femmes indépendantes, et toute tentative de prise de pouvoir de notre part, même lorsqu'il s'agit juste de maîtriser notre propre destin et notre corps, est vécu comme une tentative castratrice de grande ampleur. Gare aux effrontées.

Selon Peggy Sastre, pour les femmes, "Le mariage est un cercueil dont les enfants sont les clous". Même si nos explications diffèrent, au moins, nous arrivons à tomber d'accord sur le résultat. L'investissement dans l'amour est affaire de femmes et cet investissement est dissymétrique : elles investissent sur leur "féminité" qu'elles pensent puissante, encouragées par la presse féminine et toute la culture pop qui le leur serine à rythme hebdomadaire. Elles font tous les efforts et s'investissent, les hommes se laissent porter, font carrière, se mettent les pieds sous la table, et... perçoivent au final tous les gains économiques. Sauf que.

"La féminité, c'est ce qui est non masculin, ce qui est dépourvu de pouvoir" - Christine Bard.
Non, nous ne sommes pas toute puissantes : le système n'est pas fait pour nous. Cessez de chercher le "mari idéal", il n'existe pas ; et si vous rabattez vos prétentions, cessez de penser que vous "allez le changer" ! Il n'y a pas intérêt. Il passe confortablement de la charge de sa mère à la vôtre : vous nettoierez sa chambre, laverez son linge, élèverez ses enfants, comme a fait sa mère, le système est fait par eux, pour leur plus grand bénéfice. Le mariage est une perte d'identité et d'autonomie pour les femmes. Il y aura un moment où vous mettrez votre carrière entre parenthèse pour vous occuper des enfants. Non, vous pouvez juste limiter la voilure et les dommages pour vous. En attendant que les lois s'appliquent réellement, parce que les lois sont là.

L'amour est d'abord un comportement basé sur l'échange et la réciprocité, mis au point et affiné par l'évolution pour permettre aux êtres animaux d'élever leurs petits, dépendants de leurs parents pour leur sécurité et leur nourriture, les parents dépendants de leurs petits pour se perpétuer. Quand les petits sont grands, ils doivent quitter leurs parents, et soit le couple se défait, soit les deux restent fidèles l'un à l'autre. On trouve ce cas chez certains oiseaux. Que les humains aient fait de ce comportement mutualiste un sentiment pouvant aller jusqu'à la névrose (dans le sens de vouloir à tout prix se conformer à une injonction sociale), et même jusqu'à la pathologie pouvant blesser, tuer et détruire, c'est une construction sociale toxique qui pervertit la notion même d'amour. Même si cette construction sociale peut être aggravée par des pics hormonaux, j'en conviens. Hello, Peggy Sastre.

Que disent les féministes de l'amour ? Le Dictionnaire des féministes a une entrée "Amour" sur trois pages. En substance, "dans l'imaginaire patriarcal, la révolte des femmes constitue une menace pour l'amour". Tiens donc. Le positionnement féministe sur le sujet est que l'amour est "un échange inégal, une duperie, une réduction de l'être, un esclavage. Le féminisme déconstruit une culture de l'amour profondément sexuée et sexiste, condamnant les filles à l'attente du Prince Charmant et les condamnant à une déception programmée ". Le féminisme apporte des proposition neuves, adossées à d'autres courants de pensée politique : libertaire, communiste, queer... Et puis l'amour (lesbien) entre féministes est l'objet de valorisation, de Monique Wittig à Catherine Corsini, à Marie-Jo Bonnet, dont les œuvres "s'intéressent à cet amour qui donne la force de résister et de créer".

Nous ne sommes pas toutes lesbiennes, bien sûr. Mais je crois qu'on peut résister à la propagande et à la pollution patriarcales, choisir en connaissance de cause, bien évaluer ce qu'on veut vraiment dans l'existence, ne pas forcément suivre aveuglément le troupeau et les bons conseils de gens dont les choix ont été clairement non couronnés de succès, et faire des arbitrages qui de toutes façons seront discriminants. Non, on ne peut pas tout avoir dans la vie. C'est une idée dangereuse propagée par des gens qui veulent du mal aux femmes. L'amour qui ne propose que la dépendance est infantilisant. L'amour entre adultes doit être un partage contractuel -tacite ou écrit. Il peut ne pas durer toute la vie, cette fiction culpabilisante : élevez vos enfants le mieux possible si vous en avez, quand ils seront partis, vivez vos passions et le temps qui vous reste : à deux, seule, ou avec un-e autre partenaire. Il n'y a pas de mal à cela. Et je rappelle que la maternité est un choix, pas un destin. Un choix qui impacte davantage les vie des femmes que celle des hommes.

" Le problème est la violence qu'entretient la domination masculine et ce que nous faisons (ou ne faisons pas) pour la prévenir, la réprimer d'une manière appropriée et donner à celles et ceux qui en sont victimes, ou risquent de l'être, les moyens de se défendre psychologiquement et physiquement ". Christine Bard.

*Les citations en typographie rouge de Christine Bard, historienne du féminisme et professeure à l'Université d'Angers, sont extraites de son ouvrage Ce que soulève la jupe - Identités, transgressions, résistances. paru en 2010 aux Editions Autrement.
Celles en bleu sont de Peggy Sastre : Comment l'amour empoisonne les femmes - Du surinvestissement sentimental et des moyens d'y remédier, aux Éditions Anne Carrière.

On peut aussi lire l'article de Ti Grace Atkinson, féministe radicale, consacré à l'amour et à l'institution du mariage publié il y a quelques temps sur mon blog : De l'amour, du mariage et du servage. C'est un texte radical.

samedi 10 février 2018

Changer les mots pour changer le monde


Le ROI des CONS ? Non, le ROI des COUILLONS !

Que celles qui ne se "trouvent pas genrées quand elles écrivent", et donc refusent le titre d'écrivaine ; celles qui ne voient jamais le mâle quand le masculin l'emporte conventionnellement car les règles de grammaire sont des conventions, rien de plus ; celles qui trouvent bien d'être englobées dans les droits de l'homme universel désignant l'espèce entière, passez votre chemin. Que vous le vouliez ou non, le langage humain est performatif, c'est à dire qu'il fabrique du réel. Selon le Bible, Le Verbe crée le monde en parlant.
De plus, les différentes turpitudes auxquelles se livre régulièrement l'espèce humaine (notamment sa moitié mâle vis à vis des femmes -on pourrait d'ailleurs faire le même exercice vis à vis des animaux-) sont souvent édulcorées afin de minimiser le tort infligé. On nous embrouille gravement. Quelques exemples.

Employer se "faire" violer impliquant la participation active de la victime du viol,
aller "voir" des prostituées : tiens donc, rien que voir ?
tomber enceinte (juste après être "tombée" amoureuse d'ailleurs, doublement de la chute),
pédophile au lieu de pédocriminel,
parler de bébé (né) quand il ne s'agit que d'un embryon, comme font les antichoix qui se nomment d'ailleurs pro-vie, appellation contestable : tout cela n'est pas innocent. Il s'agit de minimiser l'acte, et de culpabiliser la victime.

Il n'y a qu'une entrée qui me laisse dubitative car elle ne changera pas la réalité en changeant de mot : Florence Montreynaud propose d'abandonner concilier pour le remplacer par articuler (vie de famille et emploi). Ce dernier serait moins psychologique et aurait un sens plus politique. Si la réalité, qui est que les femmes mariées et mère de famille prennent en charge tout le quotidien pendant que les hommes se mettent les pieds sous la table, ce n'est pas en changeant de mot que la vie des femmes mères changera. Ou les mecs s'y collent, ou dans le cas contraire on ne concilie ni n'articule rien. Le mariage et la maternité ne sont pas des destins mais des choix. Si c'est infaisable, ce n'est pas prudent de le faire et, tout bien considéré, personne ne vous y oblige. Ou bien prévoyez dans votre contrat de mariage : partage strict des tâches familiales et ménagères, et chacun son tour d'avoir une promotion de carrière ou une mutation.

Ce petit livre de Florence Montreynaud est de façon bienvenue édité par Le Robert, éditeur de dictionnaires, dans une nouvelle collection Temps de Parole. Une double page par entrée (mot ou expression), sa définition, ses racines étymologiques, ses histoire et origine, et, enfin, par quelle expression plus exacte et moins sexiste le remplacer avec l'argumentation qui va bien.
C'est très convaincant. Les mots façonnent le monde et la réalité ; employons des mots précis, déconstruisons les mythologies sexistes et misogynes. On y gagnera en clarté, il est temps d'appeler les choses par leur nom, sans stratégies d'évitement. 

Ce petit livre de 160 pages paraît le 15 février : à offrir et à s'offrir pour 12,90 €, à transporter partout avec soi, à avoir au bureau et dans son sac, et à consulter sans modération.

Changeons les mots pour changer le monde

Florence Montreynaud est historienne, linguiste et féministe.