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jeudi 26 novembre 2015

La guerre, affaire d'hommes


Les attentats terroristes du 13 novembre à Paris ont fait apparaître le spectre de la femme kamikaze, phénomène minoritaire, mais bien présent dans les territoires contrôlés par les sectes islamo-facistes telles Etat Islamique ou Boko Haram pour ne citer qu'elles : femmes ou fillettes esclaves, envoyées à la mort parce que leur vie est déclarée valoir moins que la ceinture d'explosifs dont ces gourous machistes nihilistes leur ceignent la taille. Ou comme en Tchétchénie, où après une guerre destructrice, il ne reste plus d'hommes à sacrifier. Plus quelques suivistes européennes aliénées, séduites par l'idéologie totalitaire et sectaire des salafistes. Mais une femme kamikaze en France ? L'impensable se serait produit à Saint-Denis, et ce serait une première selon le chœur antique des experts sempiternellement mâles qui commentent les éditions spéciales des chaînes tout info. Une femme kamikaze, my god, mais où va-t-on ? Après plusieurs jours à mouliner la même mauvaise nouvelle, finalement, ce n'était plus aussi sûr : le corps "d'un très jeune homme ou d'une femme" reste non identifié, puis l'enquête progressant, on apprend qu'il s'agit d'une femme, Hasna Aït Boulhacen, mais que sa ceinture d'explosifs se serait déclenchée accidentellement, sans que ce soit parfaitement éclairci. Ce qui est certain en revanche, c'est qu'il n'y a pas eu de femme kamikaze sur le sol français, martèle le spécialiste d'Itélé. Ouf de soulagement du chœur antique masculin. La violence terroriste et nihiliste, le goût pour la mort restent des apanages masculins. Non dits, impensés, sous-entendus, mais universels. Tant que les femmes n'empiètent pas finalement, l'essentiel est sauvegardé. La fâme est toujours la consolatrice mère (ou future) de nos enfants. La "dissonance" est évacuée. Chacun.e dans son rôle de genre, les vaches sont bien gardées.

" L'anthropologie sociale a démontré que faire couler le sang était proscrit pour les femmes, soumises à l'écoulement incontrôlé et souillant du sang menstruel, quand il coule volontairement chez les hommes en raison de leurs activités guerrières ".

 " Les hommes ne sont pas distingués par leur sexe, renvoyés à un neutre réaffirmant la norme du masculin dans l'exercice de la violence ". Fanny Bugnon dans Les amazones de la terreur

Toujours après les attaques à Paris, ToysRus et JouéClub décident de retirer pistolets et mitraillettes de leurs rayons jouets de Noël. Notez l'explication donnée par les marques : ils ressemblent trop à des armes réelles, la police pourrait confondre ! Nulle mention de dressage au virilisme par une société patriarcale préoccupée de fabriquer des mecs qui ne soient pas "des tapettes", mais des gros durs conformes à ce qu'on attend d'eux, machistes et fiers à bras. Non émasculés. Tout entiers dans la sainte trinité en-dessous de la ceinture.
Mais, au fait, qu'en dit la littérature ? 

" Chez nous, il n'y a que l'homme au fusil ou l'homme à la croix. A travers toute l'histoire, il n'y en a pas eu d'autre. "
" La chasse et la guerre sont les deux occupations principales de l'homme. D'un vrai homme. " - In La Supplication - Svetlana Alexievitch.

"La guerre n'a pas un visage de femme" ?

Après qu'elle se soit vu décerner le prix Nobel de littérature 2015, j'ai lu de Svetlana Alexievitch : La fin de l'homme rouge, La supplication -Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse, et La guerre n'a pas un visage de femme. Soit environ 1200 pages sur les horreurs dont s'est rendu coupable le XXème siècle, siècle du crime industriel par excellence, un bloc de malheur russe. La fin de l'homme rouge est pour moi équivalent, vu le sujet traité, à 2666 de Roberto Bolaño et Les Bienveillantes de Jonathan Littell : ils décrivent tous les crimes d'un siècle qui a industrialisé le processus via la guerre, avec des centaines de millions de morts abattus et enterrés dans des fosses au milieu de forêts en Sibérie ou en Pologne. Les crimes de Staline : purges, dékoulakisation, goulags, puis bourbiers afghan et Tchétchène sont dans les témoignages de La fin de l'homme rouge.

La supplication publié en 1997 : Tchernobyl, la centrale nucléaire qui explose un jour d'avril 1986 en Biélorussie, dans un pays parano préparé, entraîné à se prendre les missiles nucléaires américains sur la figure, mais où la hiérarchie soviétique a été incapable de faire face au désastre nucléaire civil, à tel point que les bunkers de béton, les cachets d'iode et les combinaisons anti-radiations n'ont pas été utilisés ou même sortis de leurs emballages, les liquidateurs, chimistes, physiciens, médecins, simples soldats, témoignent avoir été envoyés à la mort quasi torse nu avec des pelles, des masques en gaze de coton, et beaucoup de coups de vodka derrière la cravate ! Au nom de "il faut sauver la Patrie communiste" -car eux aussi ont été enrôlés pour une guerre, avec triplement du salaire et avantages divers-, dans un pays où la vie humaine n'a aucune valeur, où n'existe aucune opinion publique. Le peuple russe incroyablement littéraire, philosophe, poète, éduqué, mais militarisé, sans esprit critique ou de contestation envers ses dirigeants machistes, puisque le pourvoir est toujours d'essence virile. Bel exemple d'hubris masculine que ce témoignage trouvé dans La supplication :

" J'ai lu quelque part que le personnel des centrales nucléaires traite les réacteurs de casseroles, de samovar, de cuisinières. Voilà de la superbe : nous allons cuire des œufs au plat sur le soleil " !

La guerre n'a pas un visage de femme est de même nature, un recueil de récits de femmes : "Dans l'armée soviétique, près d'un million de femmes ont servi dans les différentes armes. Il y avait parmi elle des tireurs d'élite, des pilotes d'avion, des conducteurs-mécaniciens de chars lourds, des mitrailleurs...", engagées volontaires de la deuxième guerre mondiale pour défendre la Patrie communiste. Une somme de témoignages, pas du tout une critique anthropologique ou sociale, ni a fortiori féministe -ce n'est pas le propos de l'auteure, d'ailleurs un brin essentialiste dans son titre-, en fait, un livre sur l'atrocité de la guerre, mais vue par les femmes qui ne rêvent que de reporter des robes, de rencontrer l'amour et avoir des enfants quand tout sera terminé. Comme rien n'a été pensé pour elles, elles s'entortillent les pantalons trop grands des mecs jusqu'au dessous des bras et elles portent des bottes pointure 46 alors qu'elles chaussent du 37 ! Elles n'en font pas un plat, puisqu'elles sont volontaires pour servir la Patrie ! La guerre est un phénomène total, elle a besoin de bras, de chair à canon, et puisque la vie humaine est abondante sur terre, pas de quartiers, pas d'économies. Une fois les guerres déclarées par les hommes terminées, les femmes sont priées de rentrer au gynécée, reproduire des soldats pour la prochaine.
La "Patrie" (littéralement le pays des pères) est un concept guerrier, bien éloigné des "home", "homeland" (vs fatherland) anglais, du "heimat" (vs vaterland) allemand, de la "maison", termes intimes pour désigner son chez-soi, sa matrie, le lieu où on a vu le jour, où on a passé son enfance. La Patrie est vampire, amatrice de chair et de sang, exigeante, dure, contrairement à la maison maternelle bienveillante où règne la sécurité de l'enfance.

" Les hommes jouent, et le jeu suprême, c'est la guerre " - Pierre Bourdieu. Par hommes vous aurez compris mâles, malgré l'imprécision entretenue par le français.

En guise de conclusion, je vous offre en cadeau bonus, la chanson Les Z'hommes d'Henri Tachan. Notez qu'elle n'a pas été écrite ni inspirée par des féministes radicales à poil dur, ce qui, du coup, la rend totalement casher du point de vue masculin, puisque c'est tellement mieux quand c'est eux qui le disent ! Avec des féministes à poil dur, ou même souple, il y a toujours un doute sur le fait qu'elles seraient incapables de taire un éventuel antagonisme.



Liens supplémentaires : Paola Tabet, anthropologue : les femmes n'ont pas accès aux outils ni aux armes - In La construction sociale de l'inégalité des sexes.
Et sur le blog d'Emelire, Le féminin l'emporte : Le gros mot est lâché.


mercredi 18 novembre 2015

Simone de Beauvoir et les femmes - Marie-Jo Bonnet


Simone de Beauvoir a disparu le 14 avril 1986, il va y avoir 30 ans. Icône du féminisme, elle appartient désormais à l'histoire et aux historien.nes qui feront la critique de son oeuvre et de sa vie. Marie-Jo Bonnet est de celles-ci. Historienne, féministe, co-fondatrice du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) et des Gouines Rouges au début des années 70, elle pense que Simone de Beauvoir (SdB) est devenue féministe à 62 ans, et encore, parce qu'elle a été sollicitée par ces  jeunes femmes révolutionnaires et enthousiastes de l'après 68 qui voulaient subvertir la société patriarcale et changer le sort des femmes. Elle publie "Simone de Beauvoir et les femmes" ce début novembre : je l'ai lu, un peu avec effarement, en tous cas pendant la première moitié. Je vais y revenir.

Mais d'abord le contexte dans lequel SdB publie le Deuxième Sexe : 1949, immédiat après-guerre. Les femmes françaises ont voté pour la première fois à un scrutin national en 1945, (Beauvoir vote donc pour la première fois à 37 ans !) droit de vote décrété par De Gaulle car le parlement, truffé de radicaux-socialistes, ne l'aurait jamais adopté. L'avortement est férocement réprimé, le Deuxième sexe paraît dans "une société beaucoup plus misogyne qu'avant la guerre, et qui veille avec une violence sourde au repeuplement de la France en maintenant fermement la vertu de ses femmes".

Simone de Beauvoir a déjà publié 3 romans, dont L'invitée et un essai, avec succès d'estime en librairie, mais sans gagner beaucoup d'argent. Pendant 3 ans, c'est Sartre qui la finance, elle a été exclue de l'Education Nationale en 1943 pour "excitation de mineure à la débauche" (la minorité va jusqu'à 21 ans à cette époque) après plainte de la mère de Nathalie Sorokine (plainte aboutissant à un non-lieu), une de ses élèves avec qui elle a une liaison amoureuse. En 1949, Le Deuxième sexe "ce livre majeur qui aura une influence déterminante sur l'évolution "antinaturaliste" du féminisme contemporain", écrit sur le conseil de Sartre "vous devriez écrire quelque chose sur les femmes", va créer un scandale dès sa parution et être un phénomène de libraire :
20 000 exemplaires vendus en 15 jours, puis des dizaines de traductions dans toutes les langues, "sa célèbre formule "on ne naît pas femme, on le devient" fait le tour du monde, contribuant à saper le mythe de la féminité afin de pouvoir penser l'égalité entre les sexes dans une perspective universaliste". SdeB est désormais une femme indépendante financièrement, et connue (haïe par une partie du public aussi) planétairement.

C'est quoi exactement, le Deuxième sexe ? Selon Marie-Jo Bonnet il est une analyse sociologique de la situation des femmes, où "Beauvoir traite les femmes en types. "La lesbienne", la "femme mariée", la "mère"..., tous définis selon leur rapport à la sexualité". Et le tableau est impitoyable -comme la situation des femmes. Misogyne même, selon MJ Bonnet. J'ai lu le Deuxième sexe à 20 ans, grâce à ma prof de philo qui le vilipendait, d'ailleurs je la remercie ici de m'avoir permis d'exercer mon fort esprit de contradiction, j'y remets le nez de loin en loin. Pour comprendre les griefs de Marie-Jo Bonnet, j'ai relu les 20 pages concernant "la lesbienne" (Tome II, pages 192 à 218 Folio Gallimard), c'est vrai que c'est terrifiant. "Elles se conduisent comme des hommes dans un monde sans hommes", et, cette phrase terrible : "Rien ne donne une pire impression d'étroitesse d'esprit et de mutilation que ces clans de femmes affranchies" . Bigre. Aujourd'hui on qualifierait ça de lesbophobie, minimum.

"Il ne s'agit pas pour les femmes de s'affirmer comme femmes, mais de devenir des êtres humains à part entière. Refuser les "modèles masculins" est un non-sens... les femmes ont à s'emparer des instruments forgés par les hommes et à s'en servir dans leur propre intérêt" - Simone de Beauvoir dans Tout compte fait - 1972

Simone de Beauvoir pense donc que les femmes doivent gagner les mêmes prérogatives que les hommes, qu'elles doivent tendre à l'assimilation selon le slogan "un homme sur deux est une femme", "slogan qui dit bien l'impossibilité imposée par l'idéologie des genres de penser le féminin en dehors du masculin. Et donc les femmes en dehors des hommes ".
" Le Deuxième sexe achève un cycle historique qui a commencé en 1789 avec l'exclusion des femmes du droit de cité. Beauvoir constitue le point de retournement d'une conscience féministe qui cesse de vouloir s'intégrer à une société appréhendée comme extérieure aux femmes, pour se tourner vers la connaissance de soi, à la découverte de ce que les femmes pensent, voient, sentent, aiment et désirent pour le devenir de l'humanité. Et peut-être aussi afin que la Terre retrouve son deuxième pôle agissant ".

Simone de Beauvoir écrivant - Photo par Gisèle Freund - 1948

Biographie critique rosse écrite sous l'angle de son rapport aux femmes et au féminin, basée sur son abondante correspondance et ses mémoires, avec quelques interprétations et jeux de mots psychanalytiques peu convaincants selon moi, la première partie du livre recense les femmes qui accompagnent la vie de Simone de Beauvoir (les hommes aussi : Sartre, Jacques-Laurent Bost, Nelson Algren, ses trois amants), son amitié contrastée avec Violette Leduc, toutes les élèves avec lesquelles elle a des relations intimes, liaisons qu'il lui arrive de partager avec Sartre, et qu'il lui arrive de commenter dans leurs lettres quotidiennes. Beauvoir est bisexuelle, sans jamais le reconnaître. Elle se reconnaît encore moins lesbienne. Ses élèves filles (pas de mixité à l'époque dans les lycées où elle enseigne la philo) tombent amoureuse de l'intellectuelle brillante qu'elle est, seule séduction qu'elle déploie, sans doute à son corps défendant. Sa dernière élève, Sylvie Le Bon de Beauvoir devient sa fille adoptive dont elle fait son héritière. Et ses relations avec sa sœur, Hélène de Beauvoir de Roulet, peintresse à la carrière reconnue internationalement.

La deuxième partie décrivant à partir du début des années 70 l'arrivée du féminisme fondé par les Monique Wittig, Christine Delphy, Christiane Rochefort, Mariella Righini, Marie-Jo Bonnet, Antoinette Fouque, tant d'autres... est en revanche très enthousiasmante : elles vont spontanément chercher Beauvoir qui leur dira tout le temps oui : présidences d'associations, de maisons d'éditions, marrainages divers, Beauvoir les accompagne partout, défile avec elles, en découvrant l'action féministe avec stupeur et enthousiasme, elle qui, décidément ne croyait pas à l'action politique. Selon Marie-Jo Bonnet, SdeB aurait découvert le militantisme féministe vers 62 ans !
Voici ce qu'inventaient ces femmes en 1970, citation d'une interview de Mariella Righini pour le Nouvel Observateur : " C'est un terrain vierge et miné, le nôtre... Marx et Freud n'ont pas tout dit. On veut tout repenser à zéro. Seules. [...] On ne revendique rien à l'intérieur d'un système imposé par les mâles. On veut le foutre en l'air complètement. On veut être à notre tour créatrices.". Le MLF tout en s'inspirant des écrits de SdeB refuse l'assimilation à l'étalon universel masculin, et donc la "femme avec un cerveau d'homme" que veut être Beauvoir.

Après un réquisitoire de 300 pages, l'auteure reconnaît toutefois le rôle prépondérant de Beauvoir dans la prise de conscience des femmes :
" Beauvoir souhaitait devenir immortelle par la littérature. Elle est devenue un mythe, dont l'oeuvre est immense, complexe, et va servir de nouveaux points d'appui au féminisme des années 2000 pour conquérir une légitimité académique à travers la théorie du genre. Or, cette théorie oublie que pour Beauvoir, "devenir femme" était de l'ordre existentiel. Pas une position essentialiste. Unique, elle le fut, sans dépasser le profond clivage entre son cœur de femme et son cerveau d'homme ".

Ce livre propose une vision de Beauvoir. D'autres biographies lui ont été consacrées. Celle de Deidre Bair fait autorité et est très citée par Marie-Jo Bonnet. Le 19 avril 1986, Simone de Beauvoir est enterrée au cimetière de Montparnasse aux côtés de Jean-Paul Sartre : 4500 personnes venues de tous les pays suivent son cercueil et occupent le Boulevard du Montparnasse.

Les citations en caractère gras et rouge sont de MJ Bonnet, celles en gras et violet, de Simone de Beauvoir.

mercredi 11 novembre 2015

Des femmes riant seules avec des salades !

Je vous propose aujourd'hui la traduction d'un billet du blog Vegan Feminist Network " Women laughing alone with salads", blog administré par Corey Wrenn.


" Vous les avez vues des centaines de fois. Vous savez, la dame croquant dans une salade, les yeux brillants. Tête rejetée en arrière avec une jubilation hystérique, elle est surprise par le glorieux mélange de végétaux qui agrémentent son assiette. Le tract promotionnel de votre coopérative locale d'alimentation naturelle en est orné. Le site web de votre chaîne d'épicerie les utilise. Ainsi que les affiches sur les murs de la salle d'attente de votre médecin. Des tonnes d'organisations véganes les utilisent. Zut, je parie que si je vérifie bien, j'en ai probablement montré une pour illustrer un des billets de ce blog au moins une fois.

Des stocks de femmes... assises seules... avec une salade tellement hilarante, qu'elles ne peuvent s'empêcher d'exploser de rire et de délice.

L'absurdité de ces images a attiré l'attention d'Internet, avec pour résultat des imitations : une page Tumblr, et même une pièce de théâtre.

Manger une salade n'est pas particulièrement drôle. Ça induit rarement l'extase. Habituellement, c'est plutôt une expérience difficile consistant à introduire maladroitement des feuilles de laitue ans votre bouche. C'est souvent insatisfaisant : trop ou pas assez d'assaisonnement. En réalité, vous craignez qu'un bout de laitue reste coincé entre vos dents, et ça vous empêche de sourire d'une oreille à l'autre entre chaque bouchée. En général, manger de la salade est une activité ennuyeuse et ordinaire.

Quand votre salade n'arrête pas de faire des plaisanteries :
Mais manger de la salade est une activité de femme, et comme telle, elle doit être accomplie de façon à raconter une histoire particulière qui a une fonction quand on l'observe et la documente.

La théorie féministe végane nous dit que la nourriture -ce que nous mangeons et comment nous le mangeons- est fermement enracinée dans des normes de genre. La consommation de légumes (avec la salade comme omniprésent cliché) est un comportement hautement féminisé. Les codes publicitaires genrés montrent aussi de façon régulière une hyper émotivité chez les femmes. D'où découle qu'elles y sont portraiturées avec des réponses émotionnelles extrêmes et inappropriées. Ces représentations ajoutent l'émotivité, l'infantilité et l'immaturité, à l'habituelle compréhension culturelle de la féminité. Ces images renforcent le statut de subordination des femmes. Apparier des femmes hyper-émotives avec des nourritures hyper-féminisées compose une parfaite iconographie sexiste.


Bien sûr, on m'a opposé l'inévitable argument "les hommes aussi". Vrai, on nous montre des hommes s'excitant légèrement avec des salades, mais soyons honnêtes, ils sont moins fréquemment dépeints riant la tête rejetée en arrière, en sous-vêtements ou enceint.es ! La frivolité genrée de la consommation de salades est terriblement une affaire de femmes.


Quand on nous montrera des hommes -scénario improbable- mangeant une salade, prostrés dans un lit, en string blanc, alors, OK, on en reparle.

Ce billet est reposté simultanément sur le blog du Corey Wrenn. Je l'en remercie.

Corey Wrenn est professeure de sociologie et activiste éco-féministe de la cause animale. Elle anime le Vegan Feminist Network et Human-Animal Studies Images, entre autres activités.

mardi 3 novembre 2015

Témoignage : Il m'a volé ma vie - Morgane Seliman


Morgane Seliman témoigne dans ce petit livre de 230 pages des quatre années d'enfer qu'elle a vécues avec un compagnon violent : coups, humiliations, qui s'abattent dès qu'elle se met en ménage et qu'elle est enceinte, séparation d'avec les amis, copains et parents, employeurs, isolement, négation de la violence, l'histoire courante d'une mise sous emprise, du vampirisme psychologique et du cannibalisme métaphysique (Ty Grace Atkinson) qui caractérisent les abuseurs.

Un vrai Prince Charmant  " :
Capricieux, affectivement immature, pervers narcissique, manipulateur, harceleur, atteint de troubles obsessionnels compulsifs, caractériel, haineux des femmes et de leur corps, intolérant aux refus et à la frustration, instable émotionnel, et bien sûr, irresponsable, le "compagnon" va vite se révéler être ce que tout le monde autour de Morgane sait, mais sans vraiment la mettre en garde, pire "ils étaient fous de joie. Ils pensaient que j'allais avoir une bonne influence sur Yassine" (la femme pansement, béquille) : en fait, un repris de justice violent et instable. Une grossesse non désirée, pain bénit pour la société qui n'a rien de plus pressé à faire que de contraindre les femmes à l'enfermement à la maison et à la reproduction, plus une infirmière "qui utilise la machine se trompe", lui fait écouter les battements de cœur lors d'une consultation pour IVG, après lui avoir passé un savon : "une vraie entreprise de culpabilisation". Vous y rajoutez la volonté de réussir sa vie amoureuse, de se conformer à tous prix aux injonctions patriarcales, et le tour est joué : ça va être une descente aux enfers. Très bien décrite par l'auteure.

La seconde moitié du livre témoigne de la volonté de s'en sortir -une autre sorte d'enfer-, des tentatives, des rechutes, et par dessus tout du manque de professionnalisme, du manque d'empathie, du je-m’en-foutisme des différentes instances chargées du maintien de l'ordre et de la sécurité des citoyens, mais moins des citoyennes enfermées dans le conjugo selon toutes apparences : gendarmes, policiers qui bâclent leurs dossiers et leurs enquêtes, avocats, juges, procureur de la République, personnel pénitentiaire sous influence du pervers, voisins qui ne mouftent pas quand une femme crie, juges d'application des peines... Moi je l'ai pris comme un réquisitoire ! Quelques morceaux d’ignominie :
Les gendarmes : "Quand je leur explique que je veux porter plainte, ils me répondent de les appeler quand je ferai l'objet de violences", alors que le Prince Cogneur lui prend ses clés et son portable juste avant de frapper. "Quand je dis que je souhaite porter plainte, ils m'informent que ce n'est pas possible parce que je n'ai pas de traces (ils ne sont pas médecins, pourtant, que je sache...) et que ça va encore plus énerver Yassine". Le pire et le comble : l'éloignement de la victime, pendant que l'agresseur, lui, conserve le logement, les clés, et...l'enfant ! "Ils sont en train de me mettre à la porte de mon domicile et de laisser un enfant aux mains d'un homme dont ils savent qu'il est violent. L'un d'eux  ajoute même : 
- Pour une fois qu'il est calme... Allez pas nous l'énerver un peu plus !".
Seule une association de femmes parviendra à des résultats : mise à l'écart (puisqu'il semble bien que c'est l'agresseur propriétaire de la femme et de l'enfant qui a TOUS LES DROITS y compris de vie ou de mort sur ses propriétés, croyance obscurantiste au lien biologique du sang oblige) ; le violent est finalement condamné à dix huit mois de prison DONT six avec sursis et mise à l'épreuve Ce qui a pesé dans la balance, ce sont les violences à l'égard des gendarmes au moment de son arrestation ". Les gendarmes ont une ITT plus importante que celle de Morgane. Avis aux maris violents, évitez de cogner sur les flics, ça coûte plus cher ! On se pince.

A la lecture de ce témoignage, il est clair que c'est la société le problème, pas les femmes battues. Tout est fait pour enfermer les femmes dans des "obligations" paradoxales et intenables : non, on n'a aucune obligation de "réussir sa vie" en trouvant un Prince Charmant de fiction, en se mariant et en enfantant, on peut la réussir autrement, non les mecs n'ont pas tous les droits, et non, vous ne les changerez pas, les filles, les hommes ne changent pas, ils sont immuablement tels que la culture les fait, n'essayez même pas !
Outre qu'il est grand public, je conseille la lecture de ce livre à tous les professionnels de santé, de justice et de police, pour que cessent ces mauvaises pratiques institutionnelles de mâle-traitance aux femmes, une bonne fois pour toutes. C'est indigne d'une société évoluée comme la nôtre.

Morgane Seliman et son fils vivent toujours caché.es quelque part, à l'abri de leur compagnon et père qui, lui, est de nouveau en liberté : il peut donc s'attaquer à une autre femme, car il n'a pas d'obligation de soins.

" En France, 129 femmes ont été tuées en 2013 par leur partenaire ou ex-partenaire intime ".

- Toutes les citations du livre sont en caractères gras et rouge -.

" Dans la pathologie de l'oppression, c'est certainement l'agent de l'oppression qui doit être analysé et transformé.C'est lui le responsable du développement et de la propagation du mal. "
Ty Grace Atkinson - Odyssée d'une Amazone