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lundi 11 avril 2022

Mystique de la guerre - Les hommes enfantent des monstres

" Les hommes jouent et le jeu suprême, c'est la guerre  ". Pierre Bourdieu

Même si j'ai quelques lectrices habituées qui, elles (eux), connaissent mes idiosyncrasies lexicales et savent que lorsque j'écris homme il s'agit bien sûr d'andros pas d'anthropos, je reprécise pour les lectrices de passage car j'en ai aussi, envoyées par Google et surtout par des agrégateurs de contenus que je remercie au passage. Les hommes : andros donc.

Quand nous voyons depuis le début de la guerre en Ukraine, sur nos écrans, la destruction dont ils se rendent coupables, des grandes villes rendues à l'état de gravats, villes totalement détruites, dont pas un immeuble ne tient debout après le retrait des troupes et supplétifs russes, sans parler des morts, on est secouées par ce pouvoir de destruction qu'ont les hommes, cette rage et cette efficacité qu'ils mettent à détruire. 

Les femmes enfantent les hommes, les hommes enfantent des monstres. 

Sans doute traumatisés par la puissance des grandes déesses primitives qui donnaient et entretenaient la vie sur Terre, après les avoir abattues et remplacées par des cultes sanglants et des sacrifices humains puis animaux, les hommes ont adopté le langage d'initiés des anciens grands prêtres afin de tenir les non initiés dans le mystère, l'ignorance et l'effroi de leur toute-puissance. Aussi emploient-ils un vocabulaire empreint de religiosité ; à l'origine, la science nucléaire des applications militaires est remplie de mystique religieuse. Ainsi le nom de code du premier essai nucléaire d'Alamogordo (Nouveau Mexique) le 16 juillet 1945 était-il Trinity d'après la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, les "forces mâles de la Création" ; quand les hommes engendrent, ils le font entre eux, sans passer par les femmes. Déjà Jupiter tirait ses enfants de sa cuisse ou de sa tête, jamais de son ventre, organe de la reproduction, trop femelle certainement.  D'ailleurs pour continuer dans l'hybris et se prenant pour Dieu, Oppenheimer voyant les exploits de son "bébé" (c'est ainsi que les scientifiques appelaient la bombe atomique) prononce les mots de la Bhagavad Gita, écrit fondamental de l''hindouisme : " Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes ". Vertige de toute-puissance. Dans le même ordre d'idées, la bombe H ou bombe thermonucléaire sera appelée le "bébé de Teller" du nom de son père, l'américano-hongrois Edward Teller. 

Dans la mystique religieuse masculine, les mâles ne produisent que des mâles. Le bébé d'Oppenheimer et celui de Teller sont donc des garçons. Après les premiers tests, les généraux télégraphient en langage codé au secrétaire à la Défense US que "les bébés sont nés de façon satisfaisante" et que ce sont de "gros garçons". La première bombe à hydrogène en 1952 s'appelle Mike : "c'est un garçon" est le langage codé par lequel on transmet que l'essai est couronné de succès. Les deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima le 6 août 1945 et trois jours plus tard, le 9 août 1945 sur Nagasaki, s'appellent respectivement "Little Boy" et "Fat man". L'histoire entière du projet de la bombe semble imprégnée de l'imagerie que le stupéfiant pouvoir technologique des hommes confond le pouvoir de création avec le pouvoir de destruction de la Nature.

De plus, il semble que dans l'imaginaire de la guerre, seul le pouvoir compte, que la vie n'a aucune valeur. Les scientifiques du nucléaire se référant aux tueries provoquées par la bombe parlent de "dommages collatéraux" pour désigner les morts du camp adverse. L'expression a fait une belle carrière depuis, notamment lors de la guerre du Golfe de 1990-1991 dont le nombre de morts n'est toujours pas exactement connu. Les "frappes chirurgicales" suggèrent qu'il n'y a que des installations militaires sous les bombes, pas des gens ; les ennemis chacun à leur endroit du monde s'envoyant des roquettes (rockets en anglais, fusées) depuis leurs centres de commandement semblent se livrer à un jeu vidéo. Les bombes "sales" suggèrent qu'il y en aurait de propres. Les acronymes des Etasuniens évoquent des copains, PAL en anglais (Permissive Action Link, un système de sécurité nucléaire) ou de sympathiques héros de Disney, tel le système balistique antimissile BAMBI (BAllistic Missile Boost Intercept). On peut d'ailleurs se poser la question de leur degré de maturité d'adulte quand on évoque ce champ lexical de garçonnets. 

Le désarmement est vécu comme une émasculation. Je ne vais pas vous montrer de dessins, allez voir vous-mêmes et ouvrez bien les yeux : des roquettes aux lanceurs, propulseurs, canons, chars de combat de toutes sortes, tous ressemblent furieusement à des bites soutenues par deux couilles. Force de pénétration, vitesse, tailles des cratères, missiles des sous-marins nucléaires attachés au bâtiment par un filin de plusieurs kilomètres, l'imagerie phallique et séminale imprègne tout. Lors des essais nucléaires menés à Mururoa entre 1960 et 1996, à la fin (les premiers tirs avaient lieu en plein air), les français logeaient leurs têtes nucléaires dans des trous du volcan (l'atoll est un chapeau de corail sur un immense volcan éteint) puis les rebouchaient avec du ciment à prise rapide avant d'appuyer sur le bouton. Ils leur donnaient aussi paraît-il des noms de femmes, mais après recherche, je n'ai rien trouvé. Quand l'Inde réussit son premier essai nucléaire lui permettant d'entrer dans le club des nations qui avaient la bombe, les journalistes titrèrent que "l'Inde a(vait) perdu sa virginité nucléaire". 

Avec une telle perversité de langage et le champ lexical qui l'illustre, il est évident que ce ne sont pas les vies humaines ni la sécurité des populations qui les occupent au premier chef, mais bel et bien le pouvoir, l'exploit militaire, l'arsenal d'armes qui leur permet de jouer à la guerre, leur occupation favorite. C'est sans doute la raison de l'indignation des consultants et experts qui commentent sur les plateaux de télévision la guerre de Poutine (agresseur) contre l'Ukraine (agressée), guerre sale, guerre du XXème siècle, guerre où sont engagées des milices supplétives syriennes, tchétchènes et un groupe privé, le désormais célèbre Groupe Wagner que notre ministre des Affaires Etrangères n'a pas de mots assez forts pour stigmatiser. En effet, ces gens frustes n'ont que faire des Conventions de Genève et des "lois de la guerre". La guerre, c'est sale, malgré leurs tentatives de la rendre sexy, ce sont des tripes à l'air, du sang, et des corps en décomposition dans des body bags, quand on en a en stock ! Et leurs guerres se font aussi sur le corps des femmes. 

 " Les témoignages s'accumulent que le viol est utilisé comme arme de guerre en Ukraine ".

 Source LCI - 8 avril 2022.

Parce que tout cela à un moment ou un autre se retourne contre les femmes, ils nous ont commodément sous la main chez eux, ou devant les roues de leurs chars, à portée de leurs canons, de leurs kalachnikovs. Ils n'aiment pas les femmes ni la vie tout en la multipliant fanatiquement, ça marche ensemble, elle devient ainsi dispensable, expandable comme disent les anglophones. Ils comptent sur nous, après des accords de paix où il n'y aura qu'EUX, où ils s'entendront entre EUX, pour retourner dans nos gynécées produire de nouveaux soldats pour leurs prochaines guerres. Par la contrainte s'il le faut. 

Le texte de ce billet a largement été inspiré par The War Against Women de Marilyn French paru en 1992, non traduit en français, notamment son sous-chapitre War against women as revealed in military language. 

Fuck war and fuck warmongers ! 


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