samedi 26 décembre 2015

Léviathan

" L'industrie porte en elle la guerre, comme la nuée porte l'orage " - Jean Jaurès



Dans ce petit pamphlet de 124 pages -Les échappés Editeur, chez tous les bons libraires - Fabrice Nicolino raconte l'histoire du monde paysan de ces 80 dernières années, de la grande boucherie de 14-18 où mourront des milliers de jeunes paysans d'une France à 80 % rurale, au désastre de la FAO (Food and Agriculture Organisation), organisme des Nations Unies dont la principale occupation est d'éradiquer la faim : malgré l'industrialisation de l'agriculture, son objectif est toujours inaccessible. 900 millions de personnes dans le monde connaissent la faim ! Après la deuxième guerre mondiale, les industriels de l'armement se lancent dans la fabrication de tracteurs et d'engins agricoles, les industries chimiques qui fabriquaient les gaz utilisés dans les camps de la mort combattent désormais les "nuisibles" qui s'attaquent aux récoltes, dont le doryphore amené par les américains en Europe, le DDT fait des merveilles ; et Henri Ford s'inspire de la "disassembly line" des abattoirs de Chicago pour inventer l'assembly line de ses usines de montage de tracteurs et de voitures.

A partir de la Libération, une classe de technocrates va imposer sans aucune concertation démocratique un modèle agricole basé sur la productivité : on bourre les maisons de retraites de paysans "inadaptés" et on met en coupe réglée la nature : la Terre, cette rebelle à mater". Les Jean Bustarret, Raymond Février, Fernand Vuillaume, Michel Debatisse, Edgar Pisani..., tous issus de Polytechnique ou des JAC (Jeunesses Agricoles Chrétiennes) vont imposer d'abord une idéologie, la croyance dans le progrès technique, puis des mesures drastiques : mécanisation, productivisme, remembrements brutaux, disparition des chemins creux et des zones humides, tant et si bien qu'entre 1950 et 1985, 280 000 Km de haies et de talus sont arasés en Bretagne, soit 7 fois le tour de la terre !
Pas une femme à l'horizon, hormis une qui résiste : Rachel Carson, qui invente l'écologie en 1962 avec la parution de son livre Silent Spring, et finit par faire interdire le DDT malgré la guerre implacable que lui mène l'industrie chimique.

Les animaux de ferme aussi sont transformés en machines à produire du lait et de la viande : négation des liens tissés entre éleveurs et animaux, négation des cultures paysannes, négation des besoins des bêtes qui seront parquées sur caillebottis en bâtiments, sans accès à l'herbe, l'air pur et la lumière du soleil. La vidéo de l'INA ci-dessous où l'on voit l'ineffable Raymond Février, parler de la maîtrise des organismes et de la biologie des animaux pour notre propre intérêt, fait froid dans le dos. Jusqu'à la fin grandiose, où le journaliste lui pose tout de même la question qui fâche : peut-on imaginer qu'on applique un jour ces techniques aux humains ?


1970 - Sauver le boeuf par ina

Vaches à hublots, culards, vagins artificiels pour tromper le taureau, insémination artificielle, implacable asservissement reproductif des femelles animales, Docteurs Mengele des animaux à l'INRA, hybris masculine : "avec un père, nous aurons 100 000 fils" (en fait des filles, Raymond, puisque les mâles sont considérés surperflus en élevage !), le Raymond part littéralement en sucette avec sa croyance obscurantiste en ce qu'il appelle "le progrès" qui est en fait un fantastique recul dans notre approche éthique des animaux et de la nature dont nous faisons partie. Aujourd'hui, il reste en France environ 800 000 agriculteurs pour 66 millions d'habitants, la FNSEA, premier syndicat agricole (11 présidents, tous mâles, multipliant les conflits d'intérêts) continue à promouvoir la réduction de ses effectifs de 25 % tous les 10 ans !

L'épuisement de la terre, l'accaparement des nappes phréatiques et des terres agricoles pour produire des céréales et des légumineuses destinées à la consommation animale, le hold-up des semenciers sur les variétés de plantes et de graines induisant l'appauvrissement et la destruction de la biodiversité, le crime contre l'humanité que représentent les nécrocarburants, le suicide massif des paysans partout sur la planète, l'épidémie d'obésité couplée avec 900 millions de mal nourris, le changement climatique qui fait planer sa menace sur la Terre : à quand un sursaut contre ce système financiaro-militaro-industriel ? On ne le voit pas arriver et pourtant, c'est urgent. Némésis attend son heure.

samedi 19 décembre 2015

Noyel

Noël est la fête de la famille hétéro-patriarcale, célébrant la naissance d'un garçon (s'il s'agissait de la naissance d'une fille, la fête n'existerait même pas) et qui offre l'occasion d'un dressage social de grande ampleur.


Ce dessin parodique, codes couleurs genrés inclus, montre que le désordre est semé par les garçons dont le coût social est élevé, pendant que les filles et les femmes nettement moins "turbulentes" (disons-le comme ça :(( elles, paient souvent l'addition, au minimum par les impôts. Exemple : mercredi, je sors de chez moi et bute dans une allée sur un sapin couché en travers, portant encore ses guirlandes et décorations, des paquets-cadeaux enveloppés de papier brillant de toutes les couleurs. En me demandant d'où il peut bien provenir, je jette un œil aux balcons en me disant qu'il est peut-être tombé d'une fenêtre, hypothèse idiote, car je me rappelle soudain que la mairie a "décoré" une placette à quelques mètres de là d'un sapin de 3 mètres avec les mêmes décorations. Je m'y rends et bingo, le sapin est tronçonné à mi-hauteur, il lui manque la tête. Revenant dans l'allée, je vois deux mecs en train de photographier la tête du pauvre sapin. Puis, là je me dis, comme il est plus de 9H, que la sous-succursale de la Mairie sise juste à côté doit être ouverte, c'est le moment d'aller rappeler que je suis la contestaire du quartier. J'ai une réputation à tenir quand même ! Je tombe sur une secrétaire d'une zénitude surprenante derrière un ordinateur, qui me répond qu'elle est au courant, qu'on "s'en occupe" !?! Histoire de rendre service, je lui dis que c'est un coup des mauvais garçons du quartier qui n'ont rien d'autre à fiche que d'emmerder le monde. Et là, rien : bœuf sur la langue, omertà, mer d'huile. Aucune conscience de classe ! On va pas de fâcher avec les mecs, on en a à la maison, tout de même. Comme si c'était antinomique. Fin de l'histoire : ils ont remis ce qui reste du sapin à la même place, il n'est plus que l'ombre de lui-même, il ne mesure plus qu'un mètre cinquante, et les gars du quartier peuvent continuer à vaquer à leurs occupations délétères dans le silence de plomb de la société !

Femme = viande, l'équation gagnante des bouchers-charcutiers

Le syncrétisme de Noël fait qu'il est quasi universellement célébré, et qu'il est devenue une occasion de consumérisme effréné : certains commerçants y font l'essentiel de leur chiffre d'affaires. En plus d'être obligatoire, comme toutes les fêtes religieuses, il se célèbre dans le sang des animaux. Dans les semaines qui le précèdent, les industries de la mort tournent à plein rendement. Rajoutez-y, cet automne, les dizaines de milliers d'oiseaux gazés (canards et oies à foie gras) dans les élevages du Sud-Ouest, car ils ont été détectés porteurs d'anticorps du virus H5N1, déclarés "foyers d'infection" par la grippe aviaire. En pleine COP21, on envoie à la benne des milliers d'animaux sains, dans l'indifférence générale, là aussi. Et puisque pour vendre de la viande, rien ne vaut une femme, voire une femme à poil, on trouve ça sur les sucettes en ville


Et ça aussi : appréciez le jeu de mot "plan crus" qui évoque "plan cul" !


Femmes et viande toujours associées. Animaux fractionnés et consommés en morceaux, femmes assimilées à de la viande -"elle est bonne"-, fragmentées et consommées en morceaux dans les industries de la prostitution et de la pornographie.
Il n'y a pas que Noël, les américains ont à peine digéré et dessoûlé de Thanksgiving, il y a tout de même persistence rétinienne dans le Washington Times (un journal conservateur fondé par Moon, le patron de la secte du même nom) qui attaque la campagne de Hillary Clinton, 25 ans à la Maison Blanche : animalisation d'une femme. Femme dinde, quelle créativité. Ou n'importe quel autre oiseau éteint, puisque l'article évoque la disparition de l'aile démocrate quasi d'extrême gauche (!) de Bill Clinton. Sexisme et spécisme se renforçant pour vilipender une femme politique et la renvoyer à l'altérité et au néant.

Pour contrer ces métaphores et traditions patriarcales, vous pouvez vous inspirer des recettes de ces 5 blogs proposant de la cuisine végane pour vos plats de fêtes. Bon solstice d'hiver, si vous le fêtez !
100 % végétal 
La tarterie de Béné
Antigone XXI
France végétalienne
Merci Vegan

vendredi 11 décembre 2015

"Je l'avais dans la peau" - Jacqueline Sauvage

La Cour du Loir et Cher a confirmé en appel la condamnation à 10 ans de prison ferme de Jacqueline Sauvage, meurtrière de son mari/bourreau de trois coups de fusil dans le dos. 47 ans de sévices : coups, abus sexuels sur elle-même et ses enfants, menaces de mort et finalement, un jour avant le meurtre, son fils, lui même victime du père/bourreau, se suicide par pendaison. Selon le Procureur, Jacqueline Sauvage aurait dû avoir une "réponse proportionnée" aux actes de son mari, "trois coups de feu dans le dos, ce n'est pas admissible" ! Et l'abandon pendant 5 décennies par la société d'une femme battue, c'est admissible, ça ?

Les traumas dont souffrent les femmes battues sont analysés par quantité de médecins et de psychologues. Quelques analyses figurent sur les blogs de mon widget ci-contre. Mais qu'en est-il de l'analyse -politique- des féministes radicales ? Voici ce qu'en disent Ty Grace Atkinson et Andrea Dworkin.

"Je l'avais dans la peau : elle était éperdument amoureuse ". 
"Je dirais que le phénomène de l'amour est le pivot psychologique de la persécution des femmes. L'intériorisation de la contrainte jouant un rôle fonctionnel clé dans l'oppression des femmes (ne serait-ce qu'en raison de leur importance numérique) et étant donné le caractère évidemment grotesque de l'unité politique qui "apparie' l'Oppresseur et l'Opprimée, l'agresseur et l'impuissante, isolant de cette façon l'Opprimée de toute aide politique, il n'est pas difficile de conclure que les femmes doivent par définition vivre dans un état psycho-pathologique spécialement fantasmatique autant vis-à-vis d'elles-mêmes que dans leurs rapports avec la classe opposée.Cette situation pathologique considérée comme l'état le plus désirable* où peut se trouver une femme, est ce que nous appelons le phénomène de l'amour ".
Ty Grace Atkinson -Odyssée d'une amazone

"Elle était devenue sa chose, elle était sous son emprise"
Cannibalisme métaphysique
C'est ce processus que j'appelle le "cannibalisme métaphysique". Il consiste à manger quelqu'un de la même espèce, en particulier l'élément de la victime considéré comme le plus puissant de son vivant, à savoir son imagination constructrice. Ce processus absorbe le libre-arbitre de la victime et détruit la preuve que l'agresseur et la victime sont des semblables. Le principe du cannibalisme métaphysique semble satisfaire les deux besoins de l'homme : gagner en puissance (pouvoir) et décharger la frustration (hostilité).
Une moitié de la race humaine a donc obtenu un certain soulagement psychique aux dépens de l'autre. [...] Les hommes ont envahi l'être de ces individus que l'on défini ensuite comme fonction, ou "femmes", en s'appropriant leurs caractéristiques humaines et en occupant leur corps. Le "viol" originel était politique : on a volé l'humanité d'une moitié de l'Humanité. [...] La distinction masculin-féminin est le commencement du système des rôles où certaines personnes fonctionnent pour d'autres."
Ty Grace Atkinson - Odyssée d'une amazone

"Trois coups de feu dans le dos, ce n'est pas admissible" - Le Procureur de la Cour d'Appel de Blois

" Les hommes ont le pouvoir de propriété. Historiquement, ce pouvoir a été absolu ; refusé à certains hommes par d'autres hommes, en temps d'esclavage ou d'autres persécutions, mais généralement protégé par la force armée et les lois. Dans plusieurs parties du monde, le droit de propriété des hommes sur les femmes et sur tout ce qui provient d'elles (enfant et travail) demeure absolu, et  aucune considération de droits humains ne semble s'appliquer aux populations de femmes captives.
Andrea Dworkin - Pouvoir et violence sexiste

* L'assommoir culturel du Prince Charmant, les dressages hétéro-sexuels permanents dans toutes les productions culturelles ou sous-culturelles (publicité, jeux télévisés et vidéo...), l'injonction patriarcale à "réussir sa vie" sentimentale dans le mariage et la reproduction (tout autre destin est dévalorisé, voire proscrit, surtout le célibat, les célibataires étant taxé.es d'égoïsme !), toutes ces constructions sociales sont au bénéfice des hommes pour avoir à la maison une ménagère gratuite et pour reproduire leurs gamètes de mâles puisqu'ils sont obligés de passer par nous pour avoir une descendance. Mâle, bien sûr, c'est mieux. La contrainte est donc le chemin le plus court pour les obtenir, contrainte individuelle confirmée, réaffirmée sans cesse par la société. C'est ce que rappelle le Procureur de Blois.

Liens :
L'EXPRESS : Une femme battue condamnée à 10 ans pour avoir tué son mari
A signer sur Change Org  : Pétition au Président Hollande pour obtenir la grâce de Jacqueline Sauvage

vendredi 4 décembre 2015

Des hommes rongeant des steaks

Après la traduction du billet de Corey Wrenn « Des femmes riant seules avec des salades », je propose la traduction du deuxième volet : « Men gnawing on steaks » sur son blog Vegan Feminist Network.



" A la suite de mon essai "Des femmes riant seules avec des salades ", un collègue curieux google-ise ce qu'on pourrait considérer comme le contraire : des hommes mangeant des steaks. Ce qu'il a trouvé, et qui s'est trouvé confirmé lors de mes propres recherches d'images sur Google, est le thème répétitif  d'hommes s'agaçant les dents sur une grosse tranche de viande, souvent avec la fourchette et le couteau fermement plantés de chaque côté de leur assiette. 

Le message primordial envoyé par ces images semble être " JE SUIS UN HOMME ; L'HOMME A BESOIN DE VIANDE ". Ses poings bien alignés et leur prise ferme sur les ustensiles sont des codes genrés communs, présentant les hommes aux commandes et au contrôle de leur environnement. 


De façon intéressante, les steaks sont presque toujours montrés crus. L'intention vraisemblable est de montrer la consommation de chair crue par les hommes (un comportement anti-naturel) comme naturelle. Le fait est souligné par l'abondance de photographies qui montrent des hommes consommant le steak directement sans l'aide de couverts, rongeant la chair comme s'ils étaient une espèce carnivore non humaine. A contrario, quand je cherche des images de femmes mangeant des steaks, à maintes reprises, elles sont aux prises avec de la viande crue positionnée au-dessus de leur tête, l'air accablé -personne ne mange la tête à la renverse. Ceci suggère aussi la soumission, une soumission souvent sexualisée à travers leur pose et leur nudité. Quand elles ont des couverts, elles sont davantage montrées les utilisant de manière faible ou peu sûre.



Par dessus tout, les images de femmes mangeant des steaks sont moins nombreuses, car la notion est contraire aux normes de genre. Quand on en trouve, il est clair que la hiérarchie des genres doit être préservée en démontrant que la consommation de chair (un acte de domination et de pouvoir) est moins naturelle et plus maladroite chez les femmes.


La viande est un symbole de masculinité. Donc, les hommes interagissent avec la viande pour démontrer leurs prouesses, les femmes interagissent avec la viande pour démontrer leur soumission. "

Ce billet est reposté simultanément en français sur le blog Vegan Feminist Network.

Corey Wrenn est professeure de sociologie et activiste éco-féministe de la cause animale. Elle anime le Vegan Feminist Network et Human-Animal Studies Images, entre autres activités.