vendredi 31 juillet 2015

Mary Richardson : Slasher Mary, Mary la Balafreuse



Le 11 mars 1914, la suffragiste anglo-canadienne Mary Richardson attaque au hachoir la toile La Vénus à son miroir, tableau peint par Velasquez au milieu du XVIIème siècle espagnol, exposé à la National Gallery à Londres, pourtant déjà à l'époque protégé par une épaisse plaque de verre.

Amaigries, épuisées par des séjours en prison et des grèves de la faim à répétition, où elles sont douloureusement gavées par des geôliers sans pitié, les activistes suffragistes anglaises n'obtiennent rien, sauf les quolibets et la répression des patriarcaux sûrs d'eux et de leur pouvoir, refusant d'intégrer les femmes dans ce qu'ils appellent pourtant une "démocratie". En 1910, une répression brutale s'est abattue sur les suffragistes, deux femmes seront tuées et deux cent arrêtées. Quelques jours avant les coups de hachoirs, Emmeline Pankhurst, une autre proéminente suffragiste est arrêtée et incarcérée à Londres. Forcément, il y a de quoi se radicaliser.

Pourquoi je vous parle de ça cent ans après ? Parce que dans le numéro 1199 du du 15 juillet 2015 de Charlie Hebdo, Philippe Lançon, toujours en rééducation pour sa blessure au visage, livre son billet où, entre autres choses, il raconte être allé voir quelques jours avant l'ouverture au public, l'exposition Velasquez au Grand Palais avec sa chirurgienne. La Vénus au miroir, "rare nu de la peinture espagnole" figure dans l'exposition. Une restauratrice lui raconte l'acte de Mary Richardson en examinant la restauration du tableau à la lampe. Et Philippe Lançon de commenter le geste de Richardson : "C'était un acte politique contre une société dominée par les hommes, les discours des hommes. Et (rajoute-t-il) c'était un acte puritain". Ce qui m'a fait sursauter.

Vénus à son miroir AVANT : 





Vénus à son miroir APRES avoir tâté du hachoir de Mary Rchardson :


Puritain ? Les femmes c'est bien bon à poil, le cul à l'air, sur les tableaux dans les musées, c'est moins bien dans les assemblées masculines, les académies, et dans les isoloirs des bureaux de vote, a dû se penser Mary Richardson en fomentant son acte iconoclaste. Mais imaginez qu'elle ait décidé de lacérer au hachoir un Christ en croix  -c'est quand même bien le diable si on ne trouve pas un Christ à poil, supplicié, le divin service trois-pièces dissimulé sous un pagne à la National Gallery ? Imaginons maintenant qu'elle ait pensé à viser au hachoir les saintes couilles du Christ. Mais pensez un peu à ce qu'auraient dit les mâles au pouvoir ? Regardez, elles veulent nous émasculer, ces harpies -en anglais évidemment- si on leur donne le droit de vote, ça nous mène directement au statut d’eunuque sans couilles, pire même, sans la divine verge ensemenceuse ! Un pur cauchemar masculin. Je n'étais pas dans la tête de Mary Richardson et je suis bien hardie en vous livrant ses hypothétiques pensées, mais il faut tout de même reconnaître qu'on a tout le temps tort, même 100 ans après, ce sont toujours les hommes qui racontent l'histoire et en font le commentaire. Alors disons que c'est une tentative de donner un point de vue de femme, activiste aussi.

Il faudra attendre la fin de la meurtrière guerre 14-18 dont les hommes sont rentrés exsangues (les femmes seules ayant tenu les pays en guerre), 1918 exactement, pour que le suffrage "universel" soit étendu aux femmes anglaises de plus de 30 ans (21 ans pour les hommes !), puis encore 10 ans, 1928, pour que les femmes puissent voter à partir de 21 ans en Grande-Bretagne ! Il a fallu deux lois pour que les anglaises accèdent enfin à leurs droits civiques ! Emmeline Pankhurst mourra malheureusement en 1928, deux semaines avant de voir ça ! Mary Richardson s'engagera étonnamment dans la British Union of Facists pendant 2 ans avant de la quitter, déçue par leur insincérité envers la défense des droits des femmes. Elle meurt en 1961. Les femmes françaises, elles, devront encore faire une guerre (39-45) engagées à égalité numérique avec les hommes dans la Résistance, pour se voir accorder le droit de vote par décret, sans passer devant un Parlement peuplé de radicaux-socialistes, résolument hostiles au vote des femmes. Le militantisme féministe est une longue route raboteuse, semée de cahots.

8 commentaires:

  1. J'avais lu une autre interprétation du geste de Mary Richardson. En attaquant une femme de peinture et provoquant la réaction d'indignation que l'on sait, elle voulait dénoncer une société qui fétichise et idolâtre des représentations stéréotypées et irréelles de la féminité mais se soucie peu du sort des femmes réelles, quotidiennement violentées dans leurs âmes et leurs chairs, et privées de droits.

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    1. Certainement, mon billet est un pamphlet : mais ton explication est totalement plausible. Et je ne vois rien de puritain là-dedans, encore une fois. La femme sinueuse du tableau de Velasquez est un fantasme masculin, loin du corps d'une femme réelle. On peut aussi la trouver cadavérique, selon les versions bleutées proposées - outre les qualités picturales et de perspective du tableau, bien sûr.

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  2. Ah c'est super que tu écrives là-dessus ! J'ai aussi lu le billet de Lançon et je me suis dis que,
    malheureusement, aucune blessure à la gueule ne l'amènera à comprendre l'oppression des autres s'ILS n'ont pas comme lui : une bite.
    Il m'avait déjà bien fait bouillir en demandant dans un de ses billets d'avant le 7 janvier à Nadine Trintignant (Nadine Trintignant mère de Marie Tintignant !) de fermer sa gueule sur sa sainteté Bertrand Cantat, le grand poète universel qui a bien le droit de nous imposer son narcissime pervers si ça lui chante. Je m'étais dit en secret : le voilà, lui, obligé de fermer sa gueule maintenant (je sais, c'est pas bourré d'empathie comme réflexion) quand j'ai appris sa blessure. Peut-être qu'il repensera à ce qu'il s'est permis d'écrire là comme prose immonde.
    Mais manque de bol il n'a rien compris du tout au message, et voilà que les femmes sont des moralisatrices qui le castrent ce pauvre poulet.
    Si encore c'était une femme qui lui avait fait fermé son clapet mais, non, c'est un homme ! Rien à faire : c'est quand même les femmes ses seules vraies ennemies.

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    1. Traiter les féministes de "puritaines" est le sport des hommes pour nous faire taire, je suppose. Philippe Lançon n'échappe pas à la règle. Le billet évoqué est sur les blessures : je ne l'ai pas précisé dans le billet, je le fais ici, d'où l'évocation du hacking du tableau de Velasquez. Je lis régulièrement Charlie, je ne me souviens pas du billet sur Nadine Trintignant, mais c'était tellement le discours dominant partout entre 2003 et 2013 ! Ça leur est très difficile de percevoir concrètement ce que nous supportons tous les jours, même aux plus progressistes : ils n'arrivent pas à se mettre dans nos chaussures :((
      De plus, faire ce billet était aussi intéressant : on voit bien que ce qui aujourd'hui passe pour des protestations de dames en chapeaux a été un évènement et des actions violentes où les suffragistes ont subi une répression féroce. D'ailleurs je ne supporte pas la traduction française en "suffragettes", encore un petit nom à suffixe paternaliste pour décrédibiliser leur combat.

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  3. Bonjour

    Je me permet de réagir à votre billet car je trouve que votre justification de cette dégradation d'une œuvre d'art au nom d'un combat politique est dangereuse.

    Bien sûr, je comprend tout à fait et suis même d'accord avec vous quant à la portée que vous accordez au geste de Mary Richardson, cependant je considère qu'en aucun cas il ne doit être justifié comme vous le faîtes ici.

    Récemment d'autres groupes politiques ont eux aussi entrepris de dénoncer l'idolâtrie de certaines œuvres d'art en les dégradant ou les détruisant.
    Il s'agissait de Daesh qui a fait exploser la cité antique de Nimroud et détruit des statues et, il y a quelques années, des talibans qui ont fait exploser les Bouddhas de Bamiyan.

    Je n'accorde pas la même valeur a ces actes mais je considèrent qu'ils sont tous des actes de dégradation au nom de principes idéologiques et politiques.

    Et vous voyez je présume ce qui dérange dans votre billet.
    Je serais réellement ravi de pouvoir en discuter avec vous car cela soulève plusieurs interrogations sociologiques et politiques.

    Amicalement,

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    1. Je ne crois pas "justifier", j'explique les motivations et je réagis à une accusation de puritanisme. Je trouve de plus que comparer le combat des suffragistes (combat progressiste) avec le système obscurantiste gouverné par l'entropie de l'EI / Daech est déplacé. Tout ne se vaut pas, même si le vandalisme est condamnable. Comparer un combat féministe universaliste avec le nihilisme d'un groupe d'hommes qui pratiquent les mêmes razzias/exactions contre leurs voisins que les tribus du 8è siècle, en se répartissant les femmes et filles aux vainqueurs selon la hiérarchie virile en vigueur chez ces groupes nostalgiques est douteux. Mais merci de votre passage et de votre commentaire.

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    2. Bonjour

      En effet le terme justifier n'était certainement pas adapté, je dirais donc plutôt excuser.
      Ceci étant, je vous concède mettre volontairement focaliser sur cette aspect et omis l'accusation de puritanisme, à laquelle d'ailleurs vous avez parfaitement répondue.
      Concernant les valeurs de ces actes, j'ai précisé, bien entendu, que je ne leur accordait pas la même.
      En fait ma réaction avait plus pour but de poser la question des relations entre l'art et les combats politiques.

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    3. M'être volontairement ! Cette faute est impardonnable...

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